IX. NOUVEAUX OUTRAGES CHEZ CAIPHE
Lorsque Caïphe quitta la salle du tribunal avec les membres du conseil,
une foule de misérables se précipita comme un essaim de guêpes irritées sur
Notre Seigneur toujours attaché par des cordes que tenaient deux des quatre
premiers archers. Les deux autres s'étaient éloignés avant le jugement pour se
faire remplacer par d'autres. Déjà, pendant l'audition des témoins, les archers
et quelques autres misérables avaient arraché des boucles entières de la
chevelure et de la barbe de Jésus. Des gens de bien ramassèrent en secret
quelques-unes de ces mèches de cheveux et se retirèrent en les emportant ; mais
plus tard ils ne les retrouvèrent plus. En outre toute cette canaille l'avait
couvert de crachats, frappé à coups de poing, poussé avec des bâtons pointus et
piqué avec des aiguilles. Maintenant ils se livrèrent sans contrainte à leur
rage insensée. Ils lui plaçaient sur la tête des couronnes de paille et
d'écorce d'arbre, qu'ils lui ôtaient ensuite en l'injuriant. Ils disaient : Voici
le fils de David avec la couronne de son père. Voici plus que Salomon. C'est le
roi qui fait un repas de noces pour son fils. C'est ainsi qu'ils se raillaient
des vérités éternelles, présentées par lui en paraboles aux hommes qu'il venait
sauver ; et ils ne cessaient, en disant ces choses, de le frapper avec leurs
poings et leurs bâtons, et de lui cracher à la figure. Ils tressèrent de
nouveau une couronne de grosse paille de froment qu'ils lui mirent sur la tête
par-dessus une espèce de bonnet assez semblable à la mitre de nos évêques,
après lui avoir ôté sa robe. Il ne lui restait plus que le linge qu'il avait
autour des reins avec un scapulaire qui lui couvrait le dos et la poitrine. Ils
lui arrachèrent encore ce scapulaire qui ne lui fut plus rendu, et jetèrent sur
ses épaules un vieux manteau en lambeaux dont le devant lui venait à peine aux
genoux. Ils lui mirent autour du cou une longue chaîne de fer, qui lui
descendait comme une étole, des épaules sur la poitrine et pendait jusqu'aux
genoux. Elle était terminée par deux lourds anneaux avec des pointes qui lui
ensanglantaient les genoux quand il marchait et quand il tombait. Ils lui
lièrent de nouveau les mains sur la poitrine, y placèrent un roseau, et
couvrirent son divin visage de leurs crachats. Ils avaient versé toute espèce
d'immondices sur sa chevelure, ils en avaient souillé sa poitrine et la partie
supérieure de son manteau de dérision. Ils lui bandèrent les yeux avec un
dégoûtant lambeau d'étoffe, et ils le frappèrent, lui disant : Grand prophète,
dis-nous qui t'a frappé ? Pour lui, il
ne parlait pas, priait intérieurement pour eux et soupirait. L'ayant mis en cet
état, ils le traînèrent avec la chaîne dans la salle où le conseil s'était
retiré. En avant le roi de paille, s'écrièrent-ils en lui donnant des coups de
pied et en le frappant de leurs bâtons noueux ; il doit se montrer au conseil
avec les marques de respect qu'il a reçues de nous. Quand ils entrèrent, ce fut
un redoublement d'ignobles railleries et d'allusions sacrilèges aux choses les
plus saintes. Ainsi, quand ils crachaient sur lui et lui jetaient de la boue :
Voilà ton onction de roi, ton onction de prophète, disaient-ils, tournant en
ridicule l'onction de Madeleine et le baptême, et encore : Comment peux-tu te
montrer en pareil état devant le grand conseil ? Tu veux toujours purifier les
autres et tu n'es pas pur toi-même : mais nous allons te nettoyer. Alors ils
prirent un vase plein d'eau sale et infecte dans laquelle se trouvait un
affreux torchon, puis, avec des coups, des huées et des injures entremêlées de
compliments et de salutations dérisoires, les uns lui tirant la langue,
d'autres lui tournant le dos dans des postures indécentes, ils lui promenèrent
ce torchon sur je visage et sur les épaules, faisant semblant de l'essuyer et
le souillant plus ignominieusement qu'auparavant. Ils finirent par lui verser
sur la figure toutes les immondices contenues dans le bassin, lui disant d'un
ton moqueur : Voici ton onction précieuse, ton eau de nard du prix de trente
deniers : c'est ton baptême de la piscine de Bethsaïda .
Cette dernière moquerie indiquait, sans qu'ils en eussent l'intention,
la ressemblance de Jésus avec l'Agneau pascal ; car les victimes d'aujourd'hui
étaient d'abord lavées dans l'étang voisin de la porte des Brebis ; puis on les
menait à la piscine de Bethsaida où elles recevraient une aspersion
cérémonielle avant d'être sacrifiées dans le Temple. Pour eux, ils faisaient
allusion au malade de trente-huit ans guéri par Jésus près de la piscine de
Bethsaïda ; car je vis cet homme lavé ou baptisé en ce lieu : je dis lavé ou
baptisé, parce que cette circonstance n'est pas bien présente à mon esprit.
Après cela, sans cesser de le frapper et de l'insulter, ils traînèrent
Jésus autour de la salle devant les membres du conseil qui lui prodiguaient de
leur côté les sarcasmes et les insultes. Je vis que tout était plein de figures
diaboliques, c'était quelque chose de ténébreux, de désordonné, d'effrayant.
Mais je vis souvent une lueur resplendir autour de Jésus depuis qu'il avait dit
qu'il était le Fils de Dieu. Plusieurs des assistants semblaient en avoir une
perception, plus ou moins confuse ; du moins ils sentaient avec inquiétude que
toutes les ignominies, toutes les insultes ne pouvaient lui faire perdre son
inexprimable majesté. La lumière qui environnait Jésus ne paraissait avoir
d'autre effet sur ses aveugles ennemis que de redoubler leur rage. Quant à moi,
sa gloire m'apparut si éclatante que je ne pu, m'empêcher de penser que, s'ils
lui avaient voilé le visage, c'était uniquement parce que le grand prêtre ne
pouvait plus supporter le regard de Jésus, depuis qu'il avait dit : Je le suis.