LXIV. NUIT DE LA RESURRECTION
Bientôt après je vis le tombeau du Seigneur
; tout était calme et tranquille alentour : il y avait six à sept gardes, les
uns assis, les autres debout vis-à-vis et autour de la colline. Pendant toute
la journée, Cassius n'avait presque pas quitté sa place dans le fossé, à
l'entrée de la grotte. En ce moment il était encore là, dans la contemplation
et dans l'attente, car il avait reçu de grandes grâces et de grandes lumières :
il était éclairé et touché intérieurement. Il faisait nuit, les lanternes
placées devant la grotte jetaient alentour une vive lueur. Je m'approchai alors
en esprit du saint corps pour l'adorer. Il était enveloppé dans son linceul et
entouré de lumière et reposait entre deux anges que j'avais vus constamment en
adoration à la tête et aux pieds du Sauveur, depuis la mise au tombeau. Ces
anges avaient l'air de prêtres; leur posture et leurs bras croisés sur la
poitrine me firent souvenir des Chérubins de l'arche d'alliance, mais je ne
leur vis point d'ailes. Du reste, le saint sépulcre tout entier me rappela
souvent l'arche d'alliance à différentes époques de son histoire. Peut-être
cette lumière et la présence des anges étaient-elles visibles pour Cassius, car
il était en contemplation prés de la porte du tombeau, comme quelqu'un qui
adore le Saint Sacrement.
En adorant le saint corps, je vis comme si
l'âme du Seigneur, suivie des âmes délivrées des patriarches, entrait dans le
tombeau à travers le rocher et leur montrait toutes les blessures de son corps
sacré. En ce moment, les voiles semblèrent enlevés : je vis le corps tout
couvert de plaies, c'était comme si la divinité qui y habitait eut révélé à ces
âmes d'une façon mystérieuse toute l'étendue de son martyre. Il me parut
transparent de manière que l'intérieur était visible ; on pouvait reconnaître
dans tous leurs détails les lésions et les altérations que tant de souffrances
y avaient produites, et voir jusqu'au fond de ses blessures. Les âmes étaient
pénétrées d'un respect indicible mêlé de criante et de compassion.
J'eus ensuite une vision mystérieuse que je
ne puis pas bien expliquer ni raconter clairement. Il me sembla que l'âme de
Jésus, sans avoir encore rendu la vie à son corps par une complète union,
sortait pourtant du sépulcre en lui et avec lui : je crus voir les deux anges
qui adoraient aux extrémités du tombeau enlever ce corps sacre, nu, meurtri,
couvert de blessures, et monter ainsi jusqu'au ciel à travers les rochers qui
s'ébranlaient ; Jésus semblait présenter
son corps supplicié devant le trône de son Père céleste, au milieu de choeurs
innombrables d'anges prosternés : ce fut peut-être de cette manière que les
âmes de plusieurs prophètes reprirent momentanément leurs corps après la mort
de Jésus et les conduisirent au temple, sans pourtant revenir à la vie réelle,
car elles s'en séparèrent de nouveau sans le moindre effort. Je ne vis pas
cette fois les âmes des patriarches accompagner le corps du Seigneur. Je ne me
souviens pas non plus où elles restèrent jusqu'au moment où je les vis de
nouveau rassemblées autour de l'âme du Seigneur.
Pendant cette vision, je remarquai une
secousse dans le rocher : quatre des gardes étaient allés chercher quelque
chose à la ville, les trois autres tombèrent presque sans connaissance. Ils attribuèrent
cela à un tremblement de terre et en méconnurent la véritable cause. Mais
Cassius fut très ému : car il voyait quelque chose de ce qui se passait,
quoique cela ne fût pas très clair pour lui. Toutefois, il resta à sa place,
attendant dans un grand recueillement ce qui allait arriver. Pendant ce temps
les soldats absents revinrent.
Ma contemplation se tourna de nouveau vers
les saintes femmes : elles avaient fini de préparer et d'empaqueter leurs
aromates et s'étaient retirées dans leurs cellules. Toutefois elles ne
s'étaient pas couchées pour dormir, mais s'appuyaient seulement sur les
couvertures roulées. Elles voulaient se rendre au tombeau avant le jour. Elles
avaient manifesté plusieurs fois leur inquiétude, car elles craignaient que les
ennemis de Jésus ne leur tendissent des embûches lorsqu'elles sortiraient, mais
la sainte Vierge, pleine d'un nouveau courage depuis que son fils lui était
apparu, les tranquillisa et leur dit qu'elles pouvaient prendre quelque repos
et se rendre sans crainte au tombeau, qu'il ne leur arriverait point de mal.
Alors elles se reposèrent un peu.
Il était à peu près onze heures de la nuit
lorsque
Elle alla ainsi jusqu'au Calvaire, et comme
elle en approchait, elle s'arrêta tout d'un coup. Je vis Jésus avec son corps
sacré apparaître devant la sainte Vierge, précédé d'un ange, ayant à ses côtés
les deux anges du tombeau, et suivi d'une troupe nombreuse d'âmes délivrées. Il
ne faisait aucun mouvement et semblait planer dans la lumière qui l'entourait ;
mais il en sortit une voix qui annonça à sa mère ce qu'il avait fait dans les
limbes, et qui lui dit qu'il allait ressusciter et venir à elle avec son corps
transfiguré ; qu'elle devait l'attendre près de la pierre où il était tombé au
Calvaire. L'apparition parut se diriger du côté de la ville, st la sainte
Vierge, enveloppée dans son manteau, alla s'agenouiller en priant à la place
qui lui avait été, désignée. Il pouvait bien être minuit passé, car Marie était
restée assez longtemps sur le chemin de la croix. Je vis alors le cortège du
Sauveur suivre ce même chemin, tout le supplice de Jésus fut montré aux âmes
avec ses moindres circonstances : les anges recueillaient, d'une manière
mystérieuse, toutes les portions de sa substance sacrée qui avaient été
arrachées de son corps. Je vis que le crucifiement, l'érection de la crois,
l'ouverture du côté, la déposition et l'ensevelissement leur furent aussi
montrés. La sainte Vierge de son côté contemplait tout cela en esprit et
adorait, pleine d'amour.
Il me sembla ensuite que le corps du Seigneur
reposait de nouveau dans le tombeau, et que les anges y rejoignaient, d'uns
façon mystérieuse, tout ce que les bourreaux et leurs instruments de supplice
en avaient enlevé. Je le vis de nouveau resplendissant dans son linceul, avec
les deux anges en adoration à la tête et aux pieds. Je ne puis exprimer comment
je vis tout cela. Il y a là tant de choses, des choses si diverses et si
inexprimables, qua notre raison dans son état ordinaire n'y peut rien
comprendre. D'ailleurs, ce qui est clair et intelligible quand je le vois,
devient plus tard complètement obscur et je ne puis le rendre avec des paroles.
Lorsque le ciel commença à blanchir à
l'orient, je vis Madeleine, Marie, fille de Cléophas, Jeanne Chusa et Salomé
quitter le Cénacle, enveloppées dans leurs manteaux. Elles portaient des
aromates empaquetés, et l'une d'elles avait une lumière allumée, mais cachée
sous ses vêtements. Les aromates consistaient en fleurs fraîches qui devaient
être jetées sur le corps, en sucs extraits de diverses plantes, en essences et
en huiles dont elles voulaient l'arroser. Je les vis se diriger timidement vers
la petite porte de Nicodème.