XL. CRUCIFIXION DES LARRONS
Pendant qu'on
crucifiait Jésus, les deux larrons, ayant toujours les mains attachées aux
pièces transversales de leurs croix, qu'on leur avait placées sur la nuque,
étaient couchés sur le dos, près du chemin, au côté oriental du Calvaire, et
des gardes veillaient sur eux. Accusés d'avoir assassiné une femme juive et ses
enfants qui allaient de Jérusalem à Joppé, on les avait arrêtés dans un château
où Pilate habitait quelquefois lorsqu'il exerçait ses troupes, et où ils s'étaient
donnés pour de riches marchands. Ils étaient restés longtemps en prison avant
leur jugement et leur condamnation. J'ai oublié les détails. Le larron de
gauche était plus âgé : c'était un grand scélérat, le maître et le corrupteur
de l'autre. On les appelle ordinairement Dismas et Gesmas ; j'ai oublié leurs
noms véritables : j'appellerai donc le bon, Dismas, et le mauvais, Gesmas. Ils
faisaient partie l'un et l'autre de cette troupe de voleurs établis sur les
frontières d'Egypte qui avaient donné l'hospitalité, pour une nuit à la sainte
Famille, lors de sa fuite avec l'enfant Jésus. Dismas était cet enfant lépreux
que sa mère, sur l'invitation de Marie, lava dans l'eau où s'était baigné
l'enfant Jésus, et qui fut guéri à l'instant. Les soins de sa mère envers la
sainte Famille furent récompensés par cette purification, symbole de celle que
le sang du Sauveur allait accomplir pour lui sur la croix. Dismas était tombé
très bas ; il ne connaissait pas Jésus, mais comme son coeur n'était pas
méchant, tant de patience l'avait touché. Couché par terre comme il l'était, il
parlait sans cesse de Jésus à son compagnon : " ils maltraitaient
horriblement le Galiléen, disait-il ; ce qu'il a fait en prêchant sa nouvelle
loi doit être quelque chose de pire que ce que nous avons fait nous-mêmes, mais
il a une grande patience et un grand pouvoir sur tous les hommes, ce à quoi
Gesmas répondit : Quel pouvoir a-t-il donc ? S’il est aussi puissant qu'on le
dit, il pourrait nous venir en aide " ? C'est ainsi qu'ils parlaient entre
eux.
Lorsque la
croix du Sauveur fut dressée, les archers vinrent leur dire que c'était leur
tour, et les dégagèrent en toute hâte des pièces transversales, car le soleil
s'obscurcissait déjà, et il y avait un mouvement dans la nature comme à l'approche
d'un orage. Les archers appliquèrent des échelles aux deux croix déjà plantées,
et y ajustèrent les pièces transversales. Après leur avoir lait boire du
vinaigre mêlé de myrrhe, on leur ôta leurs méchants justaucorps, puis on leur
passa des cordes sous les bras et on les hissa en l'air à l'aide de petits
échelons où ils posaient leurs pieds. On lia leurs bras aux branches de la
croix avec des cordes d'écorce d'arbre ; on attacha de même leurs poignets,
leurs coudes, leurs genoux et leurs pieds, et on serra si fort les cordes, que
leurs jointures craquèrent et que le sang en jaillit. Ils poussèrent des cris
affreux, et le bon larron dit au moment où on le hissait : " Si vous nous
aviez traités comme le pauvre Galiléen, vous n'auriez pas eu la peine de nous
élever ainsi en l'air ".
Pendant ce
temps, les exécuteurs avaient fait plusieurs lots des habits de Jésus afin de
les diviser entre eux. Le manteau était plus large d'en bas que d'en haut et il
avait plusieurs plis ; il était doublé à la poitrine et formait ainsi des
poches. Ils le déchirèrent en plusieurs pièces, aussi bien que sa longue robe
blanche, laquelle était ouverte sur la poitrine et se fermait avec des cordons.
Ils firent aussi des parts du morceau d'étoffe qu'il portait autour du cou, de
sa ceinture, de son scapulaire, et du linge qui avait enveloppé ses reins, tous
ces vêtements étaient imbibés de son sang. Ne pouvant tomber d'accord pour
savoir qui aurait sa robe sans couture, dont les morceaux n'auraient pu servir
à rien, ils prirent une table où étaient des chiffres, et y jetant des dés en
forme de fèves, ils la tirèrent ainsi au sort. Mais un messager de Nicodème et
de Joseph d'Arimathie vint à eux en courant et leur dit qu'ils trouveraient au
bas de la montagne des acheteurs pour les habits de Jésus, alors ils mirent
tous ensemble et les vendirent en masse, ce qui conserva aux chrétiens ces
précieuses dépouilles.