III. JÉSUS EST FAIT PRISONNIER
Jésus se trouvant avec les trois apôtres sur le chemin entre Gethsémani
et le jardin des Oliviers, Judas et sa troupe parurent à vingt pas de là, à
l'entrée de ce chemin : il y eut contestation entre eux parce que Judas voulait
se séparer des soldats et aborder Jésus seul et en ami, de manière à ne pas
paraître d'intelligence avec eux ; mais ceux-ci l'arrêtèrent et lui dirent : Non,
pas ainsi, camarade, tu ne nous échapperas pas que nous n'ayons le Galiléen .
Et comme ils virent les huit apôtres qui accouraient au bruit, ils appelèrent à
eux les quatre archers qui étaient à quelque distance. Judas ne voulait pas que
ceux-ci intervinssent alors et, à cette occasion, il se disputa vivement avec
eux. Lorsque Jésus et les trois apôtres reconnurent, à la lueur de la torche,
cette troupe de gens armés, Pierre voulut la repousser par la force : Seigneur,
dit-il, les huit sont tout près d'ici, attaquons les archers. Mais Jésus lui
dit de rester tranquille, et il fit quelques pas en arrière sur un endroit
couvert de gazon, de l'autre côté du chemin. Quatre disciples étaient sortis du
jardin de Gethsémani et demandaient ce qui arrivait : Judas voulait entrer en
conversation avec eux et leur faire des mensonges, mais les gardés l'en
empêchèrent. Ces quatre disciples étaient Jacques le Mineur, Philippe, Thomas
et Nathanaël : ce dernier, un fils du vieux Siméon et quelques autres, étaient
venus vers les huit apôtres à Gethsémani, soit envoyés pour avoir des nouvelles
par les amis de Jésus, soit poussés par l'inquiétude et la curiosité. Les
autres disciples erraient ça et là dans l'éloignement, se tenant aux aguets et
prêts à s'enfuir.
Jésus fit quelques pas pour s'approcher de la troupe et dit à hauts et
intelligible voix : Qui cherchez-vous ? Les chefs des soldats répondirent :
Jésus de Nazareth .C'est moi, répliqua Jésus. A peine avait-il prononcé ces
mots qu'ils reculèrent et tombèrent par terre comme frappés d'apoplexie. Judas
qui était à côté d'eux fut encore plus déconcerté dans ses projets, et comme il
semblait vouloir s'approcher de Jésus, le Seigneur étendit la main et dit : Mon
ami ! Qu’es-tu venu faire ici ? Et Judas balbutia quelques paroles sur une
affaire dont il avait été chargé. Jésus lui répondit en peu de mots dont le
sens était : il voudrait mieux pour toi n'être jamais né ! Je ne m'en souviens
pas très distinctement. Pendant ce temps, les soldats s'étaient relevés et
s'étaient rapprochés du Seigneur, attendant le signe de reconnaissance du traître,
le baiser qu'il devait donner à Jésus. Pierre et les autres disciples
entourèrent Judas et l'appelèrent voleur et traître ; il chercha à se
débarrasser d'eux en leur faisant des mensonges, mais il ne put y réussir,
parce que les archers cherchaient à le défendre contre les apôtres et par là
même témoignaient contre lui.
Jésus dit encore une fois : Qui cherchez-vous ? Ils répondirent encore :
Jésus de Nazareth. C'est moi, dit-il, je vous l'ai déjà dit, si c'est moi que
vous cherchez laissez aller ceux-ci. A ces paroles, les soldats tombèrent une
seconde fois avec des contorsions semblables à celles de l'épilepsie, et Judas
fut de nouveau entouré par les apôtres qui étaient exaspérés contre lui. Jésus
dit aux soldats : Levez-vous ! Ils se relevèrent pleins de terreur ; mais comme
les apôtres serraient Judas de près, les gardes le délivrèrent de leurs mains
et le sommèrent avec menaces de leur donner le signal convenu, car ils avaient
ordre de se saisir seulement de celui qu'il embrasserait. Alors Judas vint à
Jésus et lui donna un baiser avec ces paroles : Maître, je vous salue. Jésus
dit : Judas tu trahis le Fils de l'homme par un baiser. Alors les soldats
entourèrent Jésus, et les archers qui s'étaient approchés mirent la main sur
lui. Judas voulut s'enfuir, mais les apôtres le retinrent : ils s'élancèrent
sur les soldats en criant : Maître ! Devons-nous frapper avec l'épée ? Pierre, plus ardent, saisit l'épée, frappa
Malchus, valet du grand prêtre, qui voulait repousser les apôtres, et le blessa
à l'oreille : celui-ci tomba par terre et le tumulte fut alors à son comble.
Cependant Jésus avait été saisi par les archers, qui voulaient le lier :
les soldats l'entouraient d'un peu plus loin, et c'était parmi eux que Pierre
avait frappé Malchus. D'autres soldats étaient occupés à repousser ceux des
disciples qui s'approchaient ou à poursuivre ceux qui fuyaient. Quatre
disciples erraient aux environs et se montraient ça et là dans l'éloignement,
les soldats n'étaient pas remis de la frayeur de leur chute, et d'ailleurs ils
n'osaient guère s'écarter pour ne pas affaiblir la troupe qui entourait Jésus.
Judas qui s'était enfui après avoir donné le baiser du traître fut arrêté à peu
de distance par quelques-uns des disciples qui l'accablèrent d'injures ; mais
les six employés pharisiens qui arrivèrent en ce moment le délivrèrent encore,
et les quatre archers s'occupèrent d'entraîner le Seigneur qui était entre
leurs mains.
Tel était l'état des choses lorsque
Pierre renversa Malchus, et Jésus lui avait dit aussitôt : Pierre, remets ton
épée dans le fourreau, car celui qui tire l'épée périra par l'épée, crois-tu
que Je ne puisse pas prier mon père de m'envoyer plus de douze légions d'anges
? Ne dois-je pas vider le calice que mon père m'a donne à boire ? Comment
l'Ecriture s'accomplirait-elle, si ces choses ne se faisaient pas . Il dit
encore : Laisse-moi guérir cet homme. Puis il s'approcha de Malchus, toucha son
oreille, pria, et la guérit. Les soldats étaient autour de lui, ainsi que les
archers et les six Pharisiens, et ceux-ci l'insultaient, disant à la troupe : C'est
un suppôt du diable, l'oreille a paru blessée par suite de ses enchantements,
et c'est par ces mêmes enchantements qu'elle est guérie.
Alors Jésus leur dit : Vous êtes venus me prendre comme un assassin avec
des pieux et des bâtons : j'ai enseigné tous les jours, parmi vous, dans le
Temple, et vous n'avez pas mis la main sur moi : mais votre heure, l'heure de
la puissance des ténèbres est venue. Ils ordonnèrent de l'attacher et ils
l'insultèrent, disant : Tu n'as pas pu nous renverser avec tes sortilèges. Les
recors lui dirent de leur côté : Nous saurons bien mettre fin à tes pratiques. Jésus
fit une réponse dont je ne souviens pas bien, et les disciples s'enfuirent dans
toutes les directions. Les quatre archers et les six Pharisiens n'étaient pas
tombés et, par conséquent, ne s'étaient pas relevés. C'était, ainsi qu'il me
fut révélé parce qu'ils étaient entièrement dans les liens de Satan aussi bien
que Judas qui ne tomba pas quoiqu’il fût à côté des soldats. Tous ceux qui
tombèrent et se relevèrent se convertirent depuis et devinrent chrétiens :
ç'avait été la figure de leur conversion. Ces soldats avaient seulement entouré
Jésus mais ils n'avaient pas mis la main sur lui : Malchus se convertit
aussitôt après sa guérison, si bien qu'il ne continua son service que pour
maintenir l'ordre, et que, pendant les heures qui suivirent, il servit souvent
de messager à Marie et aux autres amis du Sauveur pour leur rapporter ce qui se
passait.
Pendant
que les Pharisiens prodiguaient à Jésus les insultes et les railleries les
archers le garrottèrent avec une grande dureté et une brutalité de bourreaux. Ces
hommes étaient des païens de la plus basse extraction. Ils avaient le cou, les
bras et les jambes nus ; ils portaient une bande d'étoffe autour des reins et
des jaquettes sans manches ; ils étaient petits, robustes, très agiles ; leur
teint était d'un brun rougeâtre, et il ressemblaient a des esclaves égyptiens.
Ils garrottèrent les mains de Jésus devant sa poitrine, et cela de la
manière la plus cruelle, car ils lui attachèrent le poignet droit au-dessous du
coude du bras gauche et le poignet gauche au-dessous du coude du bras droit
avec des cordes neuves, très dures et très serrées. Ils lui mirent autour du
corps une espèce de large ceinture où étaient des pointes de fer et y
assujettirent ses mains avec des liens d'osier. Ils lui passèrent autour du cou
une sorte de collier où étaient encore des piquants ou d'autres corps propres à
blesser, et d'où partaient deux courroies se croisant sur sa poitrine comme une
étole et fortement attachées à la ceinture. A cette ceinture aboutissaient
quatre longues cordes au moyen desquelles ils tiraient ça et là le Seigneur
selon leurs caprices inhumains. Toutes ces cordes étaient neuves et
paraissaient avoir été préparées tout exprès, depuis qu'on avait formé le
projet de d'emparer de Jésus.
On se mit en marche après avoir allumé
un plus grand nombre de torches. Dix hommes de la garde marchaient en avant,
puis venaient les archers, qui tranaient Jésus avec leurs cordes, puis les
Pharisiens qui l'accablaient d'injures, les dix autres soldats fermaient la
marche. Les disciples erraient à quelque distance, poussant des sanglots et
comme hors d'eux-mêmes ; Jean suivait d'un peu plus prés les soldats qui
étaient en arrière, et les Pharisiens leur ordonnèrent d'arrêter cet homme.
Quelques-uns se retournèrent en effet et coururent sur lui, mais il s'enfuit,
laissant entre leurs mains son suaire par lequel ils l'avaient saisi. Il avait
quitté son manteau et ne portait qu'un vêtement de dessous court et sans
manches afin de pouvoir s'échapper plus facilement. Il avait roulé autour de
son cou, de sa tête et de ses bras, cette longue bande d'étoffe que les Juifs
portent ordinairement. Les archers tiraient et maltraitaient Jésus de la
Manière la plus cruelle : ils inventaient mille manières de le tourmenter, ce
qu'ils faisaient surtout pour flatter bassement les six Pharisiens qui étaient
pleins de haine et de rage contre le Sauveur. Ils le menaient par les chemins
les plus rudes, sur les pierres, dans la boue, en cherchant pour eux-mêmes des
sentiers commodes, et tendaient les cordes de toutes leurs forces ; ils
tenaient d'autres cordes à noeuds avec lesquelles ils le frappaient, comme un
boucher frappe les bestiaux qu'il mène à la boucherie, et ils accompagnaient
toutes ces cruautés d'insultes tellement ignobles que la décence ne permettrait
pas de répéter leurs discours. Jésus était pieds nus ; il avait, outre le
vêtement qui couvrait la peau, une tunique de laine sans couture et un autre
vêtement par-dessus. Les disciples, comme, du reste, les Juifs en général,
portaient immédiatement sur la peau un scapulaire composé de deux pièces
d'étoffes qui se réunissaient sur les épaules, avec des ouvertures sur les
côtés. Le bas du corps était recouvert d'une ceinture d'où pendaient quatre
morceaux d'étoffe qui enveloppaient les reins et formaient une espèce de
caleçon. Je dois ajouter que, lors de l'arrestation du Sauveur, je ne vis pas
qu'on lui présentât aucun ordre, aucune écriture : on le traita comme s'il eût
été hors la loi.
Le cortège marchait assez vite. Lorsqu'il eut quitté le chemin qui est
entre le Jardin des Oliviers et celui de Gethsémani, il tourna a droite et
arriva bientôt à un pont jeté sur le torrent de Cédron. Jésus, allant au jardin
des Olivier, avec les apôtres, n'avait point passé sur ce pont ; il avait pris
un chemin détourné par la vallée de Josaphat qui l'avait conduit à un autre
pont placé plus au sud. Celui où on le tranait actuellement était très long,
parce qu'il s'étendait plus loin que le lit du Cédron, par-dessus quelques
inégalités du terrain. Avant qu'on n'y arrivât, je vis deux fois Jésus renversé
à terre par les violentes secousses que lui donnaient les archers. Mais
lorsqu'ils furent arrivés sur le milieu du pont, ils ne mirent pas de bornes à
leurs cruautés : ils poussèrent brutalement Jésus enchané et le jetèrent de
toute sa hauteur dans le torrent, lui disant de s'y désaltérer. Sans une
assistance divine cela eut suffi pour le tuer. Il tomba sur les genoux, puis
sur son visage, qui eut été grièvement blessé contre des rochers à peine
couverts d'un peu d'eau, sil ne l'avait pas garanti avec ses mains liées
ensemble. Elles s'étaient détachées de la ceinture, soit par une assistance
d'en haut, soit parce que les archers les avaient déliées. Ses genoux, ses
pieds, ses coudes et ses doigts s'imprimèrent miraculeusement sur le rocher où
il tomba, et cette empreinte fut plus tard l'objet d'un culte. On ne croit plus
à ces sortes de choses : mais j'ai vu souvent dans des visions historiques des
empreintes de ce genre laissées dans la pierre par les pieds, les genoux et les
mains des patriarches, des prophètes, de Jésus, de la sainte Vierge et de
divers saints. Les rochers étaient moins durs et plus croyants que le coeur des
hommes, et rendaient témoignage, dans ces terribles moments, de l'impression
que la vérité faisait sur eux.
Je n'avais pas vu Jésus se désaltérer, malgré la
terrible soif que suivit son agonie au jardin des Oliviers ; je le vis boire de
l'eau du Cédron lorsqu'on l'y eut poussé, et j'appris que c'était
l'accomplissement d'un passage prophétique des Psaumes, où il est dit qu'il
boira dans le chemin l'eau du torrent (Ps. 109). Les archers tenaient
toujours Jésus attaché au bout de leurs longues cordes. Mais ne pouvant lui
faire traverser le torrent, à cause d'un ouvrage en maçonnerie qui était de
l'autre côté, ils revinrent sur leurs pas, le traînant avec leurs cordes à
travers le Cédron, puis, ils descendirent et le firent remonter sur le bord.
Alors ces misérables le poussèrent sur le pont, l'accablant d'injures, de
malédictions et de coups. Son long vêtement de laine, tout imbibé d'eau se
collait sur ses membres. Il pouvait à peine marcher, et de l'autre coté du
pont, il tomba encore par terre. Ils le relevèrent violemment, le frappant avec
leurs cordes, et rattachèrent à sa ceinture les bords de sa robe humide, au
milieu des insultes les plus ignobles ; faisant allusion, par exemple, à la
manière dont on relève ses habits pour manger l'agneau pascal. Il n'était pas
encore minuit lorsque je vis Jésus de l'autre côté du Cédron, trainé
inhumainement par les quatre archers sur un étroit sentier, parmi les pierres,
les fragments de rochers, les chardons et les épines. Les six méchants
Pharisiens se tenaient aussi près de lui que le chemin le permettait, et, avec
des bâtons de formes différentes, ils le poussaient, le piquaient ou le
frappaient quand les pieds nus et saignants de Jésus étaient déchirés par les
pierres et les épines, ils l'insultaient avec une e ruelle ironie. Son
précurseur, Jean-Baptiste, disaient-ils ne lui a pas préparé ici un bon chemin
; ou bien : Le mot de Malachie : J'envoie devant toi mon ange pour te préparer
le chemin, ne s'applique pas ici, ou bien encore : Pourquoi ne ressuscite-t-il
pas Jean d'entre les morts pour lui préparer la voie . Et chaque moquerie de
ces hommes, accompagnée d'un rire insolent, était comme un aiguillon pour les
archers, qui redoublaient leurs mauvais traitements envers le pauvre Jésus.
Bientôt cependant ils remarquèrent que plusieurs personnes se montraient
ci et là dans l'éloignement ; car, le bruit s'était répandu que Jésus était
arrêté, plusieurs disciples arrivaient de Bethphagé et d'autres endroits où ils
s'étaient cachés, voulant savoir ce qui allait advenir de leur Maître. Les
ennemis de Jésus, craignant quelque attaque, donnèrent avec leurs cris, dans la
direction d'Ophel, le signal de leur envoyer du renfort. Ils étaient encore à
quelques minutes d'une porte située au midi du Temple, et qui conduit, à
travers un petit faubourg nommé Ophel, sur la montagne de Sion où demeuraient
Anne et Caïphe. Je vis sortir de cette porte une troupe de cinquante soldats.
Ils étaient divisés en trois groupes, le premier de dix, le dernier de quinze,
car je les ai bien comptés ; celui du milieu était donc de vingt-cinq hommes.
Ils avaient plusieurs torches avec eux ; ils étaient insolents, bruyants, et
poussaient des cris pour annoncer leur approche et féliciter ceux qui
arrivaient de leur victoire. Lorsque le premier groupe se fut joint à l'escorte
de Jésus, je vis Malchus et quelques autres profiter du désordre excité par
cette réunion pour quitter l'arrière-garde et s'enfuir vers le mont des
Oliviers.
Quand cette nouvelle troupe sortit d'Ophel, je vis les disciples qui
s'étaient montrés à quelque distance se disperser. La sainte Vierge et neuf des
saintes femmes avaient été poussées de nouveau par leur inquiétude dans la
vallée de Josaphat. C'étaient Marthe, Madeleine, Marie de Cléophas, Marie
Salomé, Marie, mère de Marc, Suzanne, Jeanne Chusa, Véronique et Salomé. Elles
se trouvaient plus au midi que Gethsémani, en face de cet endroit de la
montagne des Oliviers où est une autre grotte dans laquelle Jésus allait
quelquefois prier. Lazare, Jean-Marc, le fils de Véronique et celui de Siméon
étaient avec elles. Le dernier s'était trouvé à Gethsémani avec Nathanaël et
les huit apôtres, et il s'était enfui à travers les soldats. Ils apportaient
des nouvelles aux saintes femmes. Dans le même moment, on entendait les cris et
on voyait les torches des deux troupes qui se réunissaient. La sainte Vierge
perdit connaissance et tomba dans les bras de ses compagnes. Celles-ci se
retirèrent avec elle pour la ramener dans la maison de Marie, mère de Marc.
Les cinquante soldats étaient détachés d'une troupe de trois cents
hommes qui avaient occupé à l'improviste les portes et les rues d'Ophel ; car
le traître Judas avait fait observer aux princes des prêtres que les habitants
d'Ophel pauvres journaliers pour la plupart, porteurs d'eau et de bois pour le
Temple, étaient les partisans les plus déterminés de Jésus, et qu'on pouvait
craindre qu'ils ne tentassent de le délivrer. Le traître savait bien que Jésus
avait consolé, enseigné, secouru ou guéri un grand nombre de ces pauvres
ouvriers. C'était aussi à Ophel que le Seigneur s'était arrêté lors de son
voyage de Béthanie à Hébron après le meurtre de Jean-Baptiste, et qu'il avait
guéri beaucoup de maçons blessés par la chute du grand bâtiment et de la tour
de Siloé : la plupart de ces pauvres gens, après la Pentecôte se réunirent à la
première communauté chrétienne. Lorsque les chrétiens se séparèrent des Juifs,
et qu'on établit des demeures pour la communauté, des tentes et des cabanes
furent tendues depuis ici jusqu'au mont des Oliviers, à travers la vallée.
C'était aussi là qu'alors s'était établi saint Etienne. Ophel couvre une
colline entourée de murs et située au midi du Temple. Ce bourg ne me semble
guère plus petit que Dulmen (1).
(1) C'est le nom du lieu où est mort la soeur Emmerich, dans l'évêché de
Munster. Cet événement eut lieu le 25 du mois de Thébet, dans la troisième
année de la vie publique de Jésus, ainsi qu'Anne Catherine le vit le lundi, 13
Janvier 1823.
Les bons habitants d'Ophel furent réveillés par les cris des soldats.
Ils sortirent de leurs maisons et coururent dans les rues et aux portes pour
savoir ce qui arrivait. Mais les soldats les repoussèrent brutalement dans
leurs demeures. Jésus, le malfaiteur,
votre faux prophète, leur disaient-ils, va être amené prisonnier. Le grand
prêtre ne peut plus le laisser continuer le métier qu'il fait : il sera mis en
croix. A cette nouvelle, on n'entendit que gémissements et sanglots. Ces
pauvres gens, hommes et femmes, couraient çà et là en pleurant, ou se jetaient
à genoux, les bras étendus, et criaient vers le ciel en rappelant les bienfaits
de Jésus. Mais les soldats les poussaient, las frappaient, les faisaient
rentrer de force dans leurs maisons, et se répandaient en injures contre Jésus,
disant : Voici bien la preuve que c'est un agitateur du peuple. Ils ne
voulaient pourtant pas exercer de trop grandes violences contre les habitants
d'Ophel, de peur de les pousser à une résistance ouverte, et ils cherchaient
seulement à les écarter du chemin que Jésus devait parcourir.
Pendant ce temps, la troupe inhumaine qui amenait le Sauveur
s'approchait de la porte d'Ophel. Jésus était de nouveau tombé par terre, et il
ne paraissait pas pouvoir aller plus loin. Alors un soldat compatissant profita
de cette occasion pour dire aux autres : Vous voyez que ce malheureux homme ne peut
plus marcher. Si nous devons l'amener vivant aux princes des Prêtres, desserrez
un peu les cordes qui lui lient les mains afin qu'il puisse s'appuyer quand il tombera.
La troupe s'étant arrêtée un instant et les archers ayant relâché ses liens, un
autre soldat miséricordieux lui apporta de l'eau d'une fontaine située dans le
voisinage (1). Il puisa cette eau dans un cornet d'écorce roulée, tel que les
soldats et les voyageurs en portent sur eux dans ce pays. Jésus lui adressa
quelques paroles de remerciement, et cita, à cette occasion, un passage des
prophètes où il est question de sources d'eau vive, ce qui lui attira beaucoup
d'injures et de moqueries de la part des Pharisiens. Ils l'accusaient de
forfanterie et de blasphème, lui disant de laisser là ces vains discours et
qu'il ne donnerait plus à boire, même à un animal, bien loin de désaltérer les
hommes. Je vis ces deux hommes, celui qui avait lait relâcher les liens de
Jésus et celui qui lui avait donné à boire, favorisés d'une illumination
intérieure de la grâce. Ils se convertirent avant la mort de Jésus, et se
réunirent ensuite à ses disciples. J'ai su leurs noms actuels, ceux qu'ils
portèrent plus tard comme disciples et toutes les circonstances de leur
conversion ; mais on ne peut pas retenir tout cela, il y a trop de choses.
Le cortège se remit en marche au milieu
des mauvais traitements prodigués à Jésus, et arriva à la porte d'Ophel, où il
fut accueilli par les cris douloureux des habitants, que la reconnaissance
attachait à Jésus. Les soldats avaient beaucoup de peine à retenir les hommes
et les femmes ; qui se pressaient de tous les côtés. Ils joignaient les mains,
se jetaient à genoux, et criaient : Délivrez-nous cet homme ! Délivrez-nous cet
homme ! Qui nous aidera, qui nous consolera et nous guérira ? Rendez-nous cet
homme ! C'était un spectacle déchirant
de voir Jésus pâle, défait, meurtri, avec sa chevelure en désordre, sa robe
humide et souillée, tramé avec des cordes et poussé avec des bâtons comme un
pauvre animal qu'on mène au sacrificateur, conduit par d'ignobles archers demi
nus et des soldats grossiers et insolents, à travers la foule affligée des
habitants d'Ophel qui tendaient vers lui des mains qu'il avait guéries de la
paralysie, faisaient entendre en suppliant ses bourreaux la voix qu'il leur
avait rendue, le suivaient de leurs yeux pleins de larmes qui lui devaient la
lumière.
(1) C était vraisemblablement la fontaine de Siloé ou celle de Roget.
Déjà, dans la vallée du Cédron, beaucoup de gens de la dernière classe
du peuple, et poussés par les ennemis de Jésus, s'étaient joints à l'escorte,
maudissant et injuriant le Seigneur. Ils concouraient actuellement à repousser
et à insulter les bons habitants d'Ophel. Ophel est bâti sur une colline ; sur
le point le plus élevé est une place, où je vis beaucoup de bois de
construction entassé. Le cortège alla ensuite en descendant, et passa par une
porte pratiquée dans une muraille. Quand il eut traversé Ophel, on empêcha le
peuple de le suivre. Ils descendirent encore un peu, laissant à droite un grand
édifice, reste des ouvrages de Salomon, si je ne me trompe, et à gauche l'étang
de Bethsaïde ; puis ils allèrent encore au couchant, suivant une rue en pente
appelée Millo. Alors ils tournèrent un peu au midi en montant vers Sion par de
grands escaliers, et ils arrivèrent à la maison d'Anne. Sur toute cette route,
on ne cessa de maltraiter Notre Seigneur ; la canaille qui venait de la ville
et qui grossissait sans cesse était pour les bourreaux de Jésus l'occasion d'un
redoublement d'insultes. Depuis le mont des Oliviers jusqu'à la maison d'Anne,
Jésus tomba sept fois.
Les habitants d'Ophel étaient encore
remplis d'effroi et d'affliction lorsqu'un nouvel incident vint exciter leur
pitié. La Mère de Jésus fut ramenée par les saintes femmes, à travers Ophel,
vers la maison de Marie, mère de Marc, qui était au pied de la montagne de
Sion. Lorsqu'ils la reconnurent, ils donnèrent de nouvelles marques de douleur
et de compassion, et ils se pressèrent tellement autour de Marie, qu'elle était
presque portée par la foule. Marie était muette de douleur. Arrivée chez Marie,
mère de Marc, elle ne parla qu'à l'arrivée de Jean, qui lui raconta tout ce
qu'il avait vu depuis la sortie du Cénacle. Plus tard on conduisit la sainte
Vierge dans la maison de Marthe, qui était dans la partie occidentale de la
ville, près du château de Lazare. On lui fit faire plusieurs détours, en évitant
les chemins par lesquels Jésus avait été conduit, pour ne pas trop augmenter
son chagrin. Pierre et Jean, qui avaient suivi Jésus de loin, coururent chez
quelques serviteurs des princes et prêtres que Jean connaissait, afin de
pouvoir entrer dans les salles du tribunal où leur maître était conduit. Ces
hommes de la connaissance de Jean étaient des espèces de messagers de
chancellerie, lesquels devaient actuellement courir toute la ville pour
réveiller les anciens du peuple et plusieurs autres personnes convoquées pour
le jugement ils désiraient rendre service aux deux apôtres, mais ils ne
trouvèrent pas d'autre moyen que de revêtir Pierre et Jean d'un manteau
semblable aux leurs, et de se faire aider par eux à porter des convocations,
afin qu'ils pussent ensuite rentrer, si la faveur de leur costume, dans le
tribunal de Caïphe, où se trouvaient rassemblés des soldats et des faux
témoins, et d'ou on faisait sortir toute autre personne.
Nicomède, Joseph d'Arimathie, et
d'autres gens bien intentionnés étant membres du conseil, les apôtres se
chargèrent de les avertir, et ils firent venir ainsi quelques amis de leur maître
que peut-être les Pharisiens auraient volontairement oubliés de convoquer. Pendant
ce temps-là, Judas errait comme un criminel fou de désespoir que le démon
obsède au pied des escarpements qui terminent Jérusalem au midi parmi les
décombres et les immondices entassés en ce lieu.