XXX. JÉSUS PORTE SA CROIX
Lorsque Pilate eut quitté son tribunal, une partie des soldats le suivit
et se rangea devant le palais pour former le cortège ; une petite escorte resta
près des condamnés.
Vingt-huit Pharisiens armés, parmi
lesquels les six ennemis acharnés de Jésus qui avaient pris part à son
arrestation sur le mont des Oliviers, vinrent à cheval sur le forum pour
l'accompagner au supplice. Les archers conduisirent le Sauveur au milieu de la
place, et plusieurs esclaves entrèrent par la porte occidentale, portant le
bois de la croix qu'ils jetèrent à ses pieds avec fracas. Les deux bras étaient
provisoirement attachés à la pièce principale avec des cordes. Les coins, le
morceau de bois destiné à soutenir les pieds, l'appendice qui devait recevoir
l'écriteau et divers autres objets furent apportés par des valets du bourreau.
Jésus s'agenouilla par terre, prés de la croix, l'entoura de ses bras et la
baisa trois fois, en adressant à voix basse à son Père un touchant remerciement
pour la rédemption du genre humain qui commençait. Comme les prêtres, chez les
païens, embrassaient un nouvel autel, le Seigneur embrassait sa croix, cet
autel éternel du sacrifice sanglant et expiatoire. Les archers relevèrent Jésus
sur ses genoux, et il lui fallut à grand peine charger ce lourd fardeau sur son
épaule droite. Je vis des anges invisibles l'aider, sans quoi il n'aurait pas
même pu le soulever. Il resta à genoux, courbé sous son fardeau. Pendant que
Jésus priait, des exécuteurs firent prendre aux deux larrons les pièces
transversales de leurs croix, ils les leur placèrent sur le cou et y lièrent
leurs mains : les grandes pièces étaient portées par des esclaves. Les pièces
transversales n'étaient pas droites, mais un peu courbées. On les attacha, lors
du crucifiement, à l'extrémité supérieure du tronc principal. La trompette de
la cavalerie de Pilate se fit entendre, et un des Pharisiens à cheval
s'approcha de Jésus agenouillé sous son fardeau, et lui dit : Le temps des
beaux discours est passé ; qu'on nous débarrasse de lui. En avant, en avant ! On le releva violemment, et il sentit
tomber sur ses épaules tout le poids que nous devons porter après lui, suivant
ses saintes et véridiques paroles.
Alors
commença la marche triomphale du Roi des rois, si ignominieuse sur la terre, si
glorieuse dans le ciel.
On avait attaché deux cordes au bout de
l'arbre de la croix, et deux archers la maintenaient en l'air avec des cordes,
pour qu'elle ne tombât pas par terre ; quatre autres tenaient des cordes
attachées à la ceinture de Jésus ; son manteau, relevé, était attaché autour de
sa poitrine. Le Sauveur, sous le fardeau de ces pièces de bois liées ensemble,
me rappela vivement Isaac portant vers la montagne le bois destiné au sacrifice
où lui-même devait être immolé. Le trompette de Pilate donna le signal du
départ, parce que le gouverneur lui-même voulait se mettre à la tête d'un
détachement pour prévenir toute espèce de mouvement tumultueux dans la ville.
Il était à cheval, revêtu de son armure, et entouré de ses officiers et d'une
troupe de cavaliers. Ensuite venait un détachement d'environ trois cents
soldats d'infanterie, tous venus des frontières de l'Italie et de
Enfin s'avançait Notre Seigneur, les pieds nus et sanglants, courbé sous
le pesant fardeau de la croix, chancelant, déchiré, meurtri, n'ayant ni mangé,
ni bu, ni dormi depuis
Jésus fut conduit par une rue excessivement étroite et longeant le
derrière des maisons, afin de laisser place au peuple qui se rendait au Temple,
et aussi pour ne pas gêner Pilate et sa troupe. La plus grande partie du peuple
s'était mise en mouvement aussitôt après la condamnation, La plupart des Juifs
se rendirent dans leurs maisons ou dans le Temple, afin de terminer à la hâte
leurs préparatifs pour l'immolation de l'agneau pascal ; toutefois, la foule,
composée d'un mélange de toute sorte de gens, étrangers, esclaves, ouvriers,
femmes et enfants, était encore grande, et on se précipitait en avant de tous
les côtés pour voir passer le triste cortège ; l'escorte des soldats romains
empêchait qu'on ne s'y joignit, et les curieux étaient obligés de prendre des
rues détournées et de courir en avant : la plupart allèrent jusqu'au Calvaire, la
rue par laquelle on conduisit Jésus était à peine large de deux pas ; elle
passait derrière des maisons, et il y avait beaucoup d'immondices. Il y eut
beaucoup à souffrir : les archers se trouvaient tout prés de lui, la populace
aux fenêtres l'injuriait, des esclaves lui jetaient de la boue et des ordures,
de méchants garnements versaient sur lui des vases pleins d'un liquide noir et
infect, des enfants même, excités par ses ennemis, ramassaient des pierres dans
leurs petites robes, et couraient à travers le cortège pour les jeter sous ses
pieds en l'injuriant. C'était ainsi que les enfants le traitaient, lui qui
avait aimé les enfants, qui les avait bénis et déclarés bienheureux.
Forme de la croix selon les visions
d’Emmerich