XXVI. COURONNEMENT D'EPINES
Lorsque
Pendant la flagellation de Jésus, Pilate parla encore plusieurs fois au
peuple, qui une fois fit entendre ce cri : il faut qu'il meure, quand nous
devrions tous mourir aussi ! Quand Jésus fut conduit au corps de garde, ils
crièrent encore : Qu’on le tue ! Qu’on le tue ! Car il arrivait sans cesse de
nouvelles troupes de Juifs que les Commissaires des Princes des Prêtres
excitaient à crier ainsi. Il y eut ensuite une pause. Pilate donna des ordres à
ses soldats ; les Princes des Princes et leurs conseillers, qui se tenaient sous
des arbres et sous des toiles tendues, assis sur des bancs placés des deux
côtés de la rue devant la terrasse de Pilate, se firent apporter a manger et à
boire par leurs serviteurs. Pilate, l'esprit troublé par ses superstitions, se
retira quelques instants pour consulter ses dieux et leur offrir de l'encens.
La
sainte Vierge et ses amis se retirèrent du forum après avoir recueilli le sang
de Jésus. Je les vis entrer avec Leurs linges sanglants dans une petite maison
peu éloignée bâtie contre un mur. Je ne sais plus à qui elle appartenait. Je ne
me souviens pas d'avoir vu Jean pendant la flagellation.
Le
couronnement d'épines eut lieu dans la cour intérieure du corps de Barde situé
contre le forum, au-dessus des prisons. Elle était entourée de colonnes et les
portes étaient ouvertes. Il y avait là environ cinquante misérables, valets de
geôliers, archers, esclaves et autres gens de même espèce qui prirent une part
active aux mauvais traitements qu'eut à subir Jésus. La foule se pressait
d'abord autour de l'édifice ; mais il fut bientôt entouré d'un millier de
soldats romains, rangés en bon ordre, dont les rires et les plaisanteries
excitaient l'ardeur des bourreaux de Jésus comme les applaudissements du public
excitent les comédiens.
Au milieu de la cour ils roulèrent la base d'une colonne où se trouvait
un trou qui avait dû servir pour assujettir le fût. Ils placèrent dessus un
escabeau très bas, qu'ils couvrirent par méchanceté de cailloux pointus et de
tessons de pot. Ils arrachèrent les vêtements de Jésus de dessus son corps
couvert de plaies, et lui mirent un vieux manteau rouge de soldat qui ne lui
allait pas aux genoux et où pendaient des restes de houppes jaunes. Ce manteau
se trouvait dans un coin de la chambre : on en revêtait ordinairement les
criminels après leur flagellation, soit pour étancher leur sang, soit pour les
tourner en dérision. Ils traînèrent ensuite Jésus au siège qu'ils lui avaient
préparé et l'y firent asseoir brutalement. C'est alors qu'ils lui mirent la
couronne d'épines. Elle était haute de deux largeurs de main, très épaisse et
artistement tressée. Le bord supérieur était saillant. Ils la lui placèrent
autour du front en manière de bandeau, et la lièrent fortement par derrière.
Elle était faite de trois branches d'épines d'un doigt d'épaisseur, artistement
entrelacées, et la plupart des pointes étaient à dessein tournées en dedans.
Elles appartenaient à trois espèces d'arbustes épineux, ayant quelques rapports
avec ce que sont chez nous le nerprun, le prunellier et l'épine blanche. Ils
avaient ajouté un bord supérieur saillant d'une épine semblable à nos ronces :
c'était par là qu'ils saisissaient la couronne et la secouaient violemment.
J'ai vu l'endroit où ils avaient été chercher ces épines. Quand ils l'eurent
attachée sur la tête de Jésus, ils lui mirent un épais roseau dans la main. Ils
firent tout cela avec une gravité dérisoire, comme s'ils l'eussent réellement
couronné Roi. Ils lui prirent le roseau des mains, et frappèrent si violemment
sur la couronne d'épines que les yeux du Sauveur étaient inondés de sang. Ils
s'agenouillèrent devant lui, lui firent des grimaces, lui crachèrent au visage
et le souffletèrent en criant : Salut, Roi des Juifs ! Puis ils le renversèrent avec son siège en
riant aux éclats, et l'y replacèrent de nouveau avec violence.
Je ne saurais répéter tous les outrages qu'imaginaient ces hommes. Jésus
souffrait horriblement de la soif ; car les blessures faites par sa barbare
flagellation lui avaient donné la fièvre et il frissonnait ; sa chair était déchirée
jusqu'aux os, sa langue était retirée, et le sang sacré qui coulait de sa tête
rafraîchissait seul sa bouche brûlante et entrouverte. Jésus fut ainsi
maltraité pendant environ une demi heure, aux rires et aux cris de joie de la
cohorte rangée autour du prétoire.