XXV. SAINT JOSEPH ENFANT-INTERROMPT
LES VISIONS DE
Au milieu de ces terribles événements, j'étais à Jérusalem, tantôt dans
un lieu, tantôt dans un autre, et je pliais sous le poids de l'affliction et
d'une souffrance aussi amère que la mort. Pendant qu'ils fouettaient mon
adorable fiancé, j'étais assise tout auprès, dans un endroit où aucun Juif
n'osait venir de peur de se souiller. Pour moi, ce n'était pas ce que je
craignais ; je désirais au contraire qu'une seule goutte de son sang jaillit
sur moi pour me purifier. J'avais le coeur si déchiré, qu'il me semblait que
j'allais mourir, car je ne pouvais secourir Jésus : je ne pouvais rien empêcher
et j'en souffrais à tel point que j'étais près d'expirer. Je gémissais, je
sanglotais à chaque coup qu'on lui portait, et m'étonnais seulement de ce qu'on
ne me chassait pas. Hélas ! Quel affreux spectacle de voir mon fiancé chéri
tout déchiré, étendu au pied de la colonne sur le sol tout couvert de son sang
précieux ! Combien étaient révoltantes ces misérables filles de joie qui le
raillaient et se détournaient avec dégoût en passant prés de lui ! Avec quel
regard touchant il semble leur dire : C’est vous qui m'avez ainsi déchiré et
vous vous raillez de moi ! Avec quelle
inhumanité les bourreaux le poussaient à coups de pied pour le faire avancer
pendant qu'il se traînait tout couvert de plaies saignantes pour reprendre ses
vêtements ! Et à peine s'en était-il recouvert de ses mains tremblantes, qu'ils
le poussaient et le traînaient à de nouveaux supplices en présence de sa pauvre
mère. Où ! Comme elle tordait ses mains en regardant la trace sanglante de ses
pas ! Pendant ce temps, j'entendais, à travers le corps de garde ouvert du côté
du marché, les plaisanteries grossières des ignobles valets de bourreau qui, de
leurs mains protégées par des gants, tressaient la couronne d'épines et en
essayaient les pointes aiguës. Je frissonnais, je tremblais et voulais courir,
dans mon angoisse, pour voir mon pauvre fiancé livré à son nouveau martyre. Ce
fut alors que la mère de Jésus, avec l'aide des saintes femmes et de quelques
hommes compatissants qui l'entouraient et la cachaient, s'approcha furtivement
et essuya à la dérobée le sang de son fils au pied de la colonne et ailleurs.
Le peuple et les ennemis de Jésus poussaient des cris tumultueux pendant qu'on
le conduisait. J'étais malade de douleur et d'angoisse ; je ne pouvais plus
pleurer et je voulais pourtant me traîner jusqu'au lieu où Jésus allait être
couronné d'épines.
C'est alors que je vis arriver tout à coup un merveilleux enfant, aux
cheveux blonds, n'ayant qu'une ceinture autour des reins. Il se glissait au
milieu des longs voiles des saintes femmes, passait lestement entre les jambes
des hommes, et vint à moi en courant. Il était tout joyeux, tout aimable, me
prenait la tête pour la tourner d'un autre côté, me bouchait tantôt les yeux,
tantôt les oreilles et cherchait avec ses caresses enfantines à m'empêcher de
regarder les tristes spectacles qui étaient sous mes yeux. Cet enfant me dit :
Ne me connais-tu pas ? Je m'appelle Joseph, et je suis de Bethléem. Puis il se
mit à me parler de la crèche, de la naissance du Christ, des bergers, des trois
rois, et il racontait combien tout cela avait été beau et merveilleux. Je
craignais toujours qu'il n'eût froid, parce qu'il était si peu vêtu, et qu'il
tombait un peu de grêle, mais il mit ses petites mains contre mes joues, et me
dit : Vois comme j'ai chaud ;là où je
suis on ne sent pas le froid . Je pleurais toujours à cause de la couronne
d'épines que je voyais tresser, mais il me consola et me dit une belle parabole
pour m'expliquer comment la joie sortirait de toutes ces souffrances. Il y
avait dans cette parabole beaucoup d'explications du sens mystique des
souffrances du Christ. Il me montra les champs où étaient venues les épines
dont on tressait la couronne de Jésus, m'enseigna ce que signifiaient ces
épines, me dit comment ces champs se couvriraient de magnifiques moissons, et
comment les épines formeraient autour d'eux une haie protectrice tout ornée de
belles roses (1). Il savait tout expliquer d'une manière si affectueuse et si
riante, que toutes les épines semblèrent devenir des roses, avec lesquelles
nous nous mîmes à jouer. Tout ce qu'il disait était plein d'intérêt ; mais j'en
ai malheureusement oublié la plus grande partie. Il y avait un long et touchant
tableau de la naissance et du développement de l'Eglise, avec de charmantes
comparaisons enfantines. L'aimable enfant ne me laissa plus regarder
Le jour de Saint Joseph, elle ne vit
rien des tableaux de la Passion, mais dit seulement ce qui suit au sujet de la
contenance de Marie et de celle de Madeleine.
(1) Elle a vraisemblablement oublié ici
plusieurs choses relatives au dimanche de Laetare, qui s'appelle aussi le
dimanche des Roses, parce que le pape, afin de représenter la joie de ce Jour
qui brille comme une rose au milieu des épines du Carême bénit une rose d'or et
la porte processionnellement dans les rues de Rome. Ce qui est dit des roses
peut avoir rapport à ceci, de même que ce qui est dit des moissons au nom de
dimanche réfection et de dimanche des pains, à cause de l'Evangile du jour sur
la multiplication des cinq pains. Ce Jour s'appelle aussi pour cette raison
Dominica rosata, de panibus, refectionis.
Les joues de la sainte Vierge sont pâles et tirées ; ses yeux sont
rouges de larmes. Je ne saurais exprimer combien elle m'apparat pleine de
naturel et de simplicité. Elle n'a cessé depuis hier d'errer, dans son
angoisse, à travers la vallée de Josaphat et les rues de Jérusalem, et pourtant
il n'y a ni dérangement ni désordre dans ses vêtements, il n'y a pas un pli de
ses habits qui ne respire sa sainteté : tout en elle est simple, digne, plein
de pureté et d'innocence. Elle regarde majestueusement autour d'elle, et les
plis de son voile, quand elle tourne un peu la tête, ont une beauté singulière.
Ses mouvements sont sans violence, et au milieu de la plus poignante douleur,
toute son allure est simple et calme. Sa robe est humectée de la rosée de la
nuit et des pleurs abondants qu'elle a versés ; mais tout reste propre et bien
ordonné dans son costume. Elle est belle d'une beauté inexprimable et tout à
fait surnaturelle ; cette beauté n'est que pureté ineffable, simplicité,
majesté et sainteté.
Madeleine a un tout autre aspect. Elle est plus grande et plus forte ;
il y a quelque chose de plus prononcé dans sa personne et dans ses mouvements.
Mais les passions, le repentir, son énergique douleur ont détruit toute sa
beauté ; elle est effrayante à voir, tant elle est défigurée par la violence
sans bornes de son désespoir. Ses vêtements mouillés e : tachés de boue sont en
désordre et déchirés ; ses longs cheveux pendent déliés sous son voile humide
et presque en lambeaux. Elle est toute bouleversée ; elle ne pense à rien qu'à
sa douleur, et ressemble presque à une folle. Il y a là beaucoup de gens de Magdalena
et des environs qui l'ont vue autrefois mener uns vie d'abord si élégante, puis
si scandaleuse. Comme elle a vécu longtemps cachée, ils la montrent aujourd'hui
au doigt, et la poursuivent de leurs injures ; même des hommes de la populace
de Magdalena lui jettent de la boue. Mais elle ne s'aperçoit de rien, tant elle
est absorbée dans sa douleur !