XXI. JÉSUS RAMENÉ D'HÉRODE A PILATE
Ce fut avec un redoublement de fureur que les ennemis de Jésus le
ramenèrent d'Hérode à Pilate. Ils étaient honteux de revenir sans l'avoir fait
condamner au lieu ou il avait déjà été déclaré innocent. Aussi prirent-ils un
autre chemin deux fois plus long, pour le montrer dans son humiliation à une
autre partie de la ville, pour pouvoir le maltraiter d'autant plus longtemps,
et aussi pour laisser à leurs agents le temps de travailler les masses selon
leurs vues. Ce chemin était plus rude et plus inégal, et tant qu'il dura, les
archers maltraitèrent Jésus. Le long vêtement qu'on lui avait mis l'empêchait
de marcher, il tomba plusieurs fois dans la boue, et fut relevé à coups de pied
et à coups de bâton sur la tête ; il eut à subir des outrages infinis, tant de
la part de ceux qui le conduisaient que de la part du peuple rassemblé sur la
route. Pour lui, il demandait à Dieu de ne pas en mourir, afin d'accomplir sa
Passion et notre Rédemption.
Il était environ huit heures un quart lorsque le cortège arriva au
palais de Pilate par un autre côté (probablement le côté oriental), en
traversant le forum. La foule était très nombreuse ; tous étaient groupés selon
les pays auxquels ils appartenaient ; les Pharisiens couraient parmi le peuple
et l'excitaient. Pilate, se souvenant de la sédition des zélateurs Galiléens à
la dernière Pâque, avait rassemblé à peu près un millier d'hommes, qui
occupaient le prétoire, le corps de garde, les entrées du forum et celles de
son palais.
La sainte Vierge, sa soeur aînée Marie,
fille d'Héli, Marie, fille de Cléophas, Madeleine, et plusieurs autres des
saintes femmes (1), au nombre de vingt, se tenaient dans un lieu où elles
pouvaient tout entendre. Jean s'y trouvait aussi au commencement. Jésus,
couvert de son manteau de dérision, était conduit à travers les huées de la
populace : car les Pharisiens avaient rassemblé sur son passage tout ce qu'il y
avait de plus vil et de plus pervers dans le peuple et ils lui donnaient
l'exemple de l'insulte et de l'outrage. Un serviteur d'Hérode était déjà venu
dire à Pilate que son maître était très reconnaissant de sa déférence : mais,
ajoutait-il, n'ayant vu qu'un fou stupide dans le célèbre Galiléen, il l'avait
traité comme tel, et le lui renvoyait. Pilate fut satisfait de ce qu'Hérode
avait fait comme lui, et n'avait pas condamné Jésus. Il lui fit faire de
nouveau ses compliments et ils devinrent amis, d'ennemis qu'ils étaient depuis
que l'aqueduc s'était écroulé.
Note Elle a oublié de dire comment ces
femmes s'étaient réunies, et si Marie revenant du mont des Oliviers à la porte
des Brebis rencontra Jésus et son cortège. Il est probable d'après des récits
antérieurs, qu'en se rendant au palais d'Hérode elle rencontra Jésus et le
suivit chez Pilate.
Voici
à quelle occasion l'inimitié de Pilate et d'Hérode prit naissance selon les
visions de la soeur. Pilate avait entrepris de bâtir un grand aqueduc amenant
au coté sud-est de la montagne du Temple, et passant par-dessus la ravine où se
décharge l'étang de Bethsaida. Hérode, par l'intermédiaire d'un Hérodien rusé
qui était membre du Sanhédrin, lui avait fourni des matériaux et dix-huit
architectes qui étaient aussi hérodiens. Son projet était de rendre les Juifs
de plus en plus contraires au gouvernement romain par les malheurs qui
résulteraient de cette entreprise. Les architectes bâtirent avec l'intention de
tout faire crouler et comme l'ouvrage approchait de sa fin, et que beaucoup de
maçons d'Ophel étaient encore occupés à enlever les échafaudages, les dix-huit
architectes attendaient ce qui allait arriver au haut de la tour voisine de Siloé.
Toute la bâtisse s écroula mais aussi une partie de cette tour où ils se
tenaient, et les architectes périrent avec quatre-vingt-treize ouvriers. Cet
accident eut lieu quelques jours avant le 8 janvier '20 Thébet ! de la seconde
année de la prédication de Jésus, le jour où Jean-Baptiste fut décapité dans le
château de Machéronte, et où commença la fête pour l'anniversaire de la
naissance d'Hérode. Aucun officier romain ne se rendit à cette fête, à cause de
l'écroulement de l'aqueduc, quoique Pilate y eût été invité avec une politesse
hypocrite. La soeur vit la nouvelle de cet événement portée par des disciples à
Thimnath-Serah dans
Jésus
fut conduit de nouveau devant la maison de Pilate. Les archers lui firent
monter l'escalier avec leur brutalité accoutumée ; mais il s'embarrassa dans
son vêtement, et tomba sur les degrés de marbre blanc qui se teignirent du sang
de sa tête sacrée. Les ennemis de Jésus qui avaient repris leurs places à
l'entrée du forum, rirent de sa chute ainsi que la populace, et les archers le
frappèrent à coups de pied pour qu'il se relevât. Pilate était appuyé Sur Son
siège, qui ressemblait à un petit lit de repos ; la petite table était devant
lui ; comme précédemment il était entouré d'officiers et d'hommes tenant des
écritures. Il s'avança sur la terrasse, et dit aux accusateurs de Jésus : Vous m'avez
livré cet homme comme un agitateur du peuple ; je l'ai interrogé devant vous,
et je ne l'ai point trouvé coupable de ce que vous lui imputiez. Hérode ne l'a
point trouvé criminel non plus, car je vous ai envoyés à lui, et je vois qu'il
n'a point porté de sentence de mort. Je vais donc le faire fouetter et le
renvoyer. De violents murmures
s'élevèrent parmi les Pharisiens et les distributions d'argent parmi le peuple
se firent avec une nouvelle activité. Pilate accueillit ces démonstrations avec
un grand mépris, et y répondit par des paroles piquantes. Il leur demanda,
entre autres choses, s'ils ne verraient pas aujourd'hui verser assez de sang
innocent dans leurs immolations d'agneaux.
Or, c'était le temps où le peuple venait
devant lui, avant la célébration de la fête, pour lui demander, d'après une
ancienne coutume, la délivrance d'un prisonnier. Les Pharisiens avaient envoyé
d'avance leurs agents pour exciter la foule à ne pas demander la délivrance de
Jésus, mais son supplice. Pilate espérait qu'on lui demanderait de rechercher
Jésus, et il imagina de donner le choix entre lui et un affreux scélérat, nommé
Barabbas, que tout le peuple avait en horreur et qui était déjà condamné à
mort. Il avait commis un meurtre dans une sédition et je l'ai vu se rendre
coupable de bien, autres crimes ; il s'était livré à des sortilèges, et avait
arraché à des femmes enceintes le fruit qui était encore dans leurs entrailles.
J'ai oublié le reste. Il y eut un mouvement parmi le peuple sur le forum : un
groupe s'avança ayant en tête ses orateurs, qui crièrent à Pilate : Faites ce
que vous avez toujours fait pour la fête . Pilate leur dit : C'est la coutume que je vous délivre un
criminel à
Pilate, toujours indécis, appelait Jésus roi des Juifs, parce que cet
orgueilleux Romain voulait leur témoigner son mépris en leur attribuant un si
pauvre roi qu'il mettait en concurrence avec un assassin ; mais il lui donnait
aussi ce nom par une sorte de persuasion que Jésus pouvait être en effet le Roi
miraculeux, le Messie promis aux Juifs, puis il cédait à ce pressentiment qu'il
avait de la vérité, parce qu'il sentait bien que les Princes des Prêtres
étaient pleins d'envie contre Jésus qu'il considérait comme innocent. A cette
demande de Pilate, il y eut quelque hésitation dans la multitude, et quelques
voix seulement crièrent : Barabbas !
Pilate ayant été appelé par un serviteur de sa femme, quitta un instant la
terrasse, et le serviteur lui montra le gage qu'il avait donné, en lui disant
: Claudia Procle vous rappelle votre
promesse de ce matin . Pendant ce temps, les Pharisiens et les Princes des
Prêtres étaient dans une grande agitation ; ils se rapprochaient du peuple,
menaçaient et ordonnaient ; mais ils avaient peu à faire pour l'exciter. Marie,
Madeleine, Jean et les saintes femmes se tenaient dans un coin du forum,
tremblant et pleurant. Quoique la mère de Jésus sût bien que sa mort était le
seul moyen de salut pour les hommes, elle était pleine d'angoisse et de désir
de l'arracher au supplice ; de même que Jésus, devenu homme et destiné au
supplice de la croix par sa libre volonté, n'en souffrait pas moins comme un
homme ordinaire toutes les peines et les tortures d'un innocent conduit à la
mort et horriblement maltraité, de même Marie souffrait toutes les douleurs que
peut ressentir une mère à la vue d'un fils vertueux et saint, ainsi traité par
un peuple ingrat et cruel. Elle et ses compagnes tremblaient, se désolaient,
espéraient, et Jean s'éloignait souvent d'elles pour voir s'il n'aurait pas
quelque bonne nouvelle à leur rapporter. Marie priait pour qu'un si grand crime
ne s'achevât pas. Elle disait comme Jésus au jardin des Oliviers : Si cela est
possible, que ce calice s'éloigne.
Elle espérait encore un peu parce que le bruit courait dans le peuple que
Pilate voulait délivrer Jésus ;au loin d'elle étaient des groupes de gens de Capharnaüm
que Jésus avait guéris et enseignés, ils faisaient semblant de ne pas la connaître,
et regardaient à la dérobée les malheureuses femmes cachées sous leurs voiles.
Mais Marie pensait, et tous pensaient comme elle, que ceux-ci, du moins,
repousseraient certainement Barabbas, pour avoir leur bienfaiteur et leur
sauveur. Il n'en fut pourtant pas ainsi.
Pilate avait renvoyé son gage à sa femme pour lui indiquer qu'il voulait
tenir sa promesse. Il s'avança de nouveau sur la terrasse, et s'assit auprès de
la petite table. Les Princes des Prêtres avaient aussi repris leurs sièges, et
Pilate cria de nouveau : Lequel des deux dois-je vous délivrer ? Ici s'éleva un
cri général dans tout le forum : Nous ne voulons point celui-ci ; donnez-nous Barabbas ! Pilate dit encore : Que dois-je donc faire
de Jésus, qui est appelé le Christ, le Roi des Juifs ? Tous crièrent
tumultueusement : Qu'il soit crucifié ! Qu'il soit crucifié ! Pilate demanda
pour la troisième fois : Mais qu'a-t-il fait de mal ? Je ne trouve point en lui
de crime qui mérite la mort. Je vais le faire fouetter et le laisser aller. Mais
le cri : Crucifiez-le ! Crucifiez-le ! Éclata partout comme une tempête
infernale ; les Princes des Prêtres et les Pharisiens s'agitaient et criaient
comme des furieux. Alors le faible Pilate délivra le malfaiteur Barabbas, et
condamna Jésus à la flagellation.