XX. JESUS DEVANT HÉRODE
Le palais du Tétrarque Hérode était situé au nord du forum, dans la
nouvelle ville : il n'était pas éloigné de celui de Pilate. Une escorte de
soldats romains, dont la plupart venaient des pays situés entre
Hérode reprocha aux prêtres leur cruauté ; il semblait qu'il voulût
imiter la manière d'agir de Pilate, car il leur dit aussi : " On voit bien
qu'il est tombé entre les mains des bouchers, vous commencez les immolations
avant le temps ", : sur quoi les Princes des Prêtres reproduisirent avec
insistance Leurs plaintes et leurs accusations. Lorsqu'on ramena Jésus devant
lui, Hérode voulut feindre la bienveillance, et lui fit apporter un verre de
vin pour réparer ses forces, mais Jésus secoua la tête et ne but pas. Hérode
parla avec beaucoup d'emphase et longuement ; il répéta à Jésus tout ce qu'il
savait de lui, il lui fit beaucoup de questions et lui demanda même de faire un
prodige ; mais Jésus ne répondait pas un mot et restait devant lui les veux
baissés, ce qui irrita et déconcerta Hérode. Il ne voulut pourtant pas le
laisser voir et continua ses questions. D'abord il chercha à le flatter :
" Je suis peiné de voir peser sur toi des accusations aussi graves ; J'ai
beaucoup entendu parler de toi : sais-tu que tu m'as offensé à Thirza lorsque
tu as délivré, sans ma permission, des prisonniers que j'avais fait mettre là ;
mais tu l'as peut-être fait avec une bonne intention. Maintenant que le
gouverneur romain t'envoie à moi pour te juger, qu'as-tu à répondre à toutes
ces accusations ? Tu gardes le silence ?On m'a beaucoup parlé de la sagesse de
tes discours et de tes doctrines, je voudrais t'entendre répondre à tes
accusateurs. Que dis-tu ?est-il vrai que tu es le roi des Juifs ? Es-tu le Fils de Dieu ? Qui es-tu ? On dit
que tu as fait de grands miracles : fais-en quelqu'un devant moi. Il dépend de
moi de te faire relâcher. Est-il vrai que tu as rendu la vue à des aveugles-nés
? Ressuscité Lazare d'entre les morts ? Nourri des milliers d'hommes avec
quelques pains ? Pourquoi ne réponds-tu
pas ? Crois-moi, fais un de tes prodiges, cela te sera utile ". Comme
Jésus continuait à se taire, Hérode parla avec beaucoup de volubilité : "
Qui es-tu ? disait-il. Qui t'a donné cette puissance ? Pourquoi ne la
possèdes-tu plus ? Es-tu celui dont la naissance est racontée d'une manière
merveilleuse ? Des rois de l'Orient sont venus vers mon père pour voir un roi
des Juifs nouveau-né ; est-il vrai, comme on le dit, que cet enfant c'était toi
? As-tu échappé à la mort qui a été donnée à tant d'enfants ? Comment cela
s'est-il fait ? Comment est-on resté si longtemps sans parler de toi ? Ou bien
ne rattachent-on a toi cet événement que pour faire de toi un roi ? Réponds
donc ? Quelle espèce de roi es-tu ? En vérité, je ne vois rien de royal en toi
! On dit qu'on t'a récemment conduit en triomphe jusqu'au Temple, qu'est-ce que
cela signifie ? Parle donc ! Réponds-moi ! D'où vient que les choses ont pris
une telle tournure " !
Tout ce flux de paroles n'obtint aucune réponse de la part le Jésus. Il
me fut expliqué aujourd'hui, comme cela m'avait été déjà dit précédemment, que
Jésus ne lui parla pas, parce qu'il se trouvait excommunié à raison de son
mariage adultère avec Hérodiade et du meurtre de Jean-Baptiste. Anne et Caïphe
profitèrent du mécontentement que lui causait le silence de Jésus et
recommencèrent leurs accusations : ils ajoutèrent qu'il avait traite Hérode de
renard, qu'il avait travaillé depuis longtemps à l'abaissement de la puissance
de sa famille, qu'il avait voulu établir une nouvelle religion et célébré
Sur toute chose on ne voulait pas condamner celui que Pilate avait
déclaré innocent, et il convenait à sa politique de se montrer obséquieux
envers le gouverneur en présence des Princes des Prêtres. Il accabla Jésus de
paroles méprisantes, et dit à ses serviteurs et à ses gardes, dont il y avait bien
deux cents dans son palais : " Prenez cet insensé, et rendez à ce roi
risible les honneurs qui lui sont dus ; c'est plutôt un fou qu'un criminel
".
Ils conduisirent donc le Sauveur dans
une grande cour où ils lui prodiguèrent les mauvais traitements et les
moqueries. Cette cour était comprise entre les ailes du palais, et Hérode les
regarda pendant quelque temps du haut d'un toit en terrasse. Anne et Caïphe,
qui étaient toujours derrière lui, essayèrent encore par tous les moyens
imaginables de le pousser à condamner Jésus ; mais Hérode leur dit, de manière
à être entendu des Romains : " Ce serait un crime à moi de le juger
", il voulait dire sans doute : " un crime contre le jugement de
Pilate qui a eu la politesse de l'envoyer devant moi ".
Les Princes des Prêtres et les ennemis de Jésus voyant qu'Hérode ne
voulait pas entrer dans leurs vues, envoyèrent quelques-uns des leurs dans le
quartier d'Acra pour dire à plusieurs Pharisiens qui s'y trouvaient de se
rendre avec leurs adhérents dans les environs du palais de Pilate : ils tirent
aussi distribuer de l'argent dans la multitude pour la porter à demander
tumultueusement la mort de Jésus. D'autres furent chargés de menacer le peuple
du courroux céleste si on n'obtenait pas la mort de ce blasphémateur sacrilège.
Ils devaient ajouter que si Jésus ne mourait pas, il s'unirait aux Romains pour
anéantir les Juifs, et que c'était là l'empire dont il avait toujours parlé.
Ailleurs ils répandaient le bruit qu'Hérode l'avait condamné, mais ils
ajoutaient que le peuple devait exprimer sa volonté ; qu'on craignait les
partisans de Jésus ; que s'il était délivré, la fête serait troublée par eux et
par les Romains, avec l'aide desquels ils exerceraient une cruelle vengeance.
Ils répandirent ainsi les bruits les plus contradictoires et les plus propres à
inquiéter, afin d'irriter et de soulever le peuple : quelques-uns d'entre eux,
pendant ce temps, donnaient de l'argent aux soldats d'Hérode, afin qu'ils
maltraitassent Jésus jusqu'à le faire mourir, car ils désiraient qu'il perdit
la vie avant que Pilate pût le mettre en liberté.
Pendant que les Pharisiens complotaient ainsi, Notre Seigneur avait à
souffrir les brutalités d'une soldatesque grossière à laquelle Hérode l'avait
livré. Ils le poussèrent dans la cour, et l'un d'eux apporta un grand sac blanc
qui se trouvait dans la chambre du portier et où il y avait eu autrefois du
coton. On y fit un trou à coups d'épée et on le jeta avec de bruyants éclats de
rire sur la tête de Jésus. Un autre de ces soldats apporta un lambeau d'étoffe
rouge qu'on lui passa autour du cou ; le sac lui tombait sur les pieds. Alors
ils s'inclinèrent devant lui, le poussant, l'injuriant, crachant sur lui, le
frappant au visage, parce qu'il n'avait pas voulu répondre à leur roi, lui rendant
mille hommages dérisoires, lui jetant de la boue, le tirant comme pour le faire
danser ; puis, l'ayant jeté par terre, ils le traînèrent dans une rigole qui
faisait le tour de la cour de sorte que sa tête sacrée frappait contre les
colonnes et les angles des murailles : ils le relevèrent ensuite et
recommencèrent leurs insultes.
Il y avait là environ deux cents soldats et serviteurs d'Hérode
appartenant à différents pays, et chacun d'eux se faisait gloire d'imaginer
quelque nouvel outrage pour Jésus. Ils faisaient tout cela précipitamment, en
se poussant les uns les autres et au milieu des huées. Quelques-uns étaient
gagnés par les ennemis du Sauveur pour assener des coups de bâton sur sa tête
sacrée. Jésus les regardait avec un sentiment de compassion. La douleur lui
arrachait des soupirs et des gémissements, mais ils en prenaient occasion pour
le railler en contrefaisant sa voix ; à chaque nouvel outrage, ils éclataient
de rire, et aucun n'avait pitié de lui. Su tête était tout ensanglantée et je
le vis tomber trois fois sous leurs bâtons ; mais je vis aussi au-dessus de lui
des anges en pleurs qui lui oignaient la tête, et il me fut révélé que sans
cette assistance d'en haut, les coups qui lui étaient portés auraient été
mortels. Les Philistins qui tourmentèrent Samson aveugle dans la carrière de
Gaza étaient moins violents et moins cruels que ces hommes.
Le temps pressait ; les Princes des
Prêtres devaient bientôt se rendre au Temple, et lorsqu'ils surent que tout
était disposé suivant leurs instructions, ils prièrent encore une fois Hérode
de condamner Jésus. Mais celui-ci qui avait ses vues relativement à Pilate lui
renvoya Jésus revêtu de son vêtement de dérision.