LE PROTÉVANGILE DE JACQUES
Nativité
de Marie. Révélation de Jacques
1.1.
Les histoires des douze tribus racontent qu'un homme fort riche, Joachim,
apportait au Seigneur double offrande, se disant : « Le supplément sera pour
tout le peuple et la part que je dois pour la remise de mes fautes ira au
Seigneur, afin qu'il me soit propice.
2.
Vint le grand jour du Seigneur, et les fils d'Israël apportaient leurs
présents. Or Ruben se dressa devant lui et dit : « Tu n'as pas le droit de
déposer le premier tes offrandes, puisque tu n'as pas eu de postérité en Israël.
»
3.
Joachim eut grand chagrin, et il s'en alla consulter les registres des douze
tribus du peuple, se disant : « Je verrai bien dans leurs archives si je suis
le seul à n'avoir pas engendré en Israël ! » Il chercha, et découvrit que tous
les justes avaient suscité une postérité en Israël. Et il se souvint du
patriarche Abraham ; sur ses vieux jours, le Seigneur Dieu lui avait donné un
fils, Isaac.
4.
Alors, accablé de tristesse, Joachim ne reparut pas devant sa femme, et il se
rendit dans le désert; il y planta sa tente et, quarante jours et quarante
nuits, il jeûna, se disant : « Je ne descendrai plus manger ni boire, avant que
le Seigneur mon Dieu m'ait visité. La prière sera ma nourriture et ma boisson.
»
2.1.
Et sa femme Anne avait deux sujets de se lamenter et de se marteler la
poitrine. « J'ai à pleurer, disait-elle, sur mon veuvage et sur ma stérilité !
»
2.
Vint le grand jour du Seigneur. Judith, sa servante, lui dit : « Jusqu'à quand
te désespéreras-tu ? C'est aujourd'hui le grand jour du Seigneur. Tu n'as pas
le droit de te livrer aux lamentations. Prends donc ce bandeau que m'a donné la
maîtresse de l'atelier. Je ne puis m'en orner, car je ne suis qu'une servante,
et il porte un insigne royal. »
3.
Anne lui dit : « Arrière, toi ! Je n'en ferai rien, car le Seigneur m'a
accablée d'humiliations. Et peut-être ce présent te vient-il d'un voleur et tu
cherches à me faire complice de ta faute. »
Et
Judith la servante dit : « Quel mal dois-je te souhaiter encore, de rester
sourde à ma voix ? Le Seigneur Dieu a clos ton sein et ne te donne point de
fruit en Israël ! »
4.
Alors Anne, malgré son désespoir, ôta ses habits de deuil, se lava la tête et
revêtit la robe de ses noces. Et vers la neuvième heure, elle descendit se
promener dans son jardin. Elle vit un laurier et s'assit à son ombre. Après un
moment de repos, elle invoqua le Maître : « Dieu de mes pères, dit-elle,
bénis-moi, exauce ma prière, ainsi que tu as béni Sarah, notre mère, et lui as
donné son fils Isaac. »
3.1.
Levant les yeux au ciel, elle aperçut un nid de passereaux dans le laurier.
Aussitôt elle se remit à gémir « Las, disait-elle, qui m'a engendrée et de quel
sein suis-je sortie ? Je suis née, maudite devant les fils d'Israël. On m'a
insultée, raillée et chassée du temple du Seigneur mon Dieu.
2.
Las, à qui se compare mon sort ? Pas même aux oiseaux du ciel, car les oiseaux
du ciel sont féconds devant ta face, Seigneur. Las, à qui se compare mon sort ?
Pas même aux animaux stupides, car les animaux stupides sont eux aussi féconds
devant toi, Seigneur. Las, à quoi se compare mon sort ? Non plus aux bêtes
sauvages de la terre, car les bêtes sauvages de la terre sont fécondes devant
ta face, Seigneur.
3.
Las, à quoi se compare mon sort ? A ces eaux non plus, car ces eaux sont tantôt
calmes tantôt bondissantes, et leurs poissons te bénissent, Seigneur. Las, à
qui se compare mon sort ? Pas même à cette terre, car la terre produit des
fruits en leur saison et te rend gloire, Seigneur. »
4.1.
Et voici qu'un ange du Seigneur parut, disant :
«
Anne, Anne, le Seigneur Dieu a entendu ta prière. Tu concevras, tu enfanteras
et l'on parlera de ta postérité dans la terre entière. »
Anne
répondit : « Aussi vrai que vit le Seigneur Dieu, je ferai don de mon enfant,
garçon ou fille, au Seigneur mon Dieu et il le servira tous les jours de sa
vie. »
2.
Et voici, deux messagers survinrent, qui lui dirent : « Joachim, ton mari,
arrive avec ses troupeaux. Un ange du Seigneur est descendu auprès de lui,
disant : "Joachim, Joachim, le Seigneur Dieu a exaucé ta prière. Descends
d'ici. Voici que Anne ta femme a conçu en son sein"
3.
Aussitôt Joachim est descendu, il a convoqué ses bergers, leur disant : «
Apportez-moi ici dix agneaux sans tache ni défaut. Ces dix agneaux seront pour
le Seigneur Dieu. Apportez-moi aussi douze veaux bien tendres et les douze
veaux seront pour les prêtres et le Conseil des Anciens. Aussi cent chevreaux,
et les cent chevreaux seront pour tout le peuple. »
4.
Joachim arriva avec ses troupeaux. Anne l'attendait, aux portes de la ville.
Dès qu'elle le vit paraître avec ses bêtes, elle courut vers lui, se suspendit
à son cou et s'écria : « Maintenant je sais que le Seigneur Dieu m'a comblée de
bénédictions ! Voici: la veuve n'est plus veuve et la stérile a conçu ! » Et
Joachim, ce premier jour, resta chez lui à se reposer.
5.1.
Le lendemain, il apportait ses offrandes : « Si le Seigneur Dieu m'a été
favorable, pensait-il, la lame d'or du prêtre me le révélera. » Il présenta ses
offrandes, et scruta la tiare du prêtre quand celui-ci monta à l'autel du
Seigneur ; et il sut qu'il n'y avait pas de faute en lui. « Maintenant, dit-il,
je sais que le Seigneur Dieu m'a fait grâce et m'a remis tous mes péchés. » Et
il descendit du temple du Seigneur, justifié, et rentra chez lui.
2.
Six mois environ s'écoulèrent ; le septième, Anne enfanta. « Qu'ai-je mis au
monde ? » demanda-t-elle à la sage-femme. Et celle-ci répondit : « Une fille. »
Et Anne dit : « Mon âme a été exaltée en ce jour ! » Et elle coucha l'enfant.
Quand
les jours furent accomplis, Anne se purifia, donna le sein à l'enfant et
l'appela du nom de Marie.
6.1.
De jour en jour, l'enfant se fortifiait. Quand elle eut six mois, sa mère la
mit par terre, pour voir si elle tenait debout. Or l'enfant fit sept pas, puis
revint se blottir auprès de sa mère. Celle-ci la souleva, disant : « Aussi vrai
que vit le Seigneur mon Dieu, tu ne marcheras pas sur cette terre, que je ne
t'ai menée au temple du Seigneur. » Et elle apprêta un sanctuaire dans sa
chambre et elle ne laissait jamais sa fille toucher à rien de profane ou
d'impur. Et elle invita les filles des Hébreux, qui étaient sans tache, et
celles-ci la divertissaient.
2.
Quand l'enfant eut un an, Joachim donna un grand festin où il convia les grands
prêtres, les prêtres, les scribes, les Anciens et tout le peuple d'Israël. Il
présenta l'enfant aux prêtres qui la bénirent : « Dieu de nos pères,
disaient-ils, bénis cette enfant, et donne-lui un nom, illustre à jamais, dans
toutes les générations. » Et tout le peuple s'écria : « Qu'il en soit ainsi !
Amen ! » Et ils la présentèrent aux grands-prêtres, et ceux-ci la bénirent,
disant : « Dieu des hauteurs, abaisse ton regard sur cette petite fille et
bénis-la d'une bénédiction suprême, qui surpasse toute bénédiction. »
3.
Et sa mère l'emporta dans le sanctuaire de sa chambre et elle lui donna le
sein.
Anne
éleva un chant au Seigneur Dieu : « Je chanterai un cantique sacré au Seigneur
mon Dieu, parce qu'il m'a visitée et m'a enlevé l'outrage de mes ennemis. Et le
Seigneur mon Dieu m'a donné un fruit de sa justice, unique et considérable
devant sa face. Qui annoncera aux fils de Ruben qu'Anne donne le sein ?
Ecoutez, écoutez, ô les douze tribus d'Israël : Anne donne le sein ! »
Et
elle reposa l'enfant dans le sanctuaire de sa chambre, sortit et servit ses
hôtes.
Quand
le banquet fut achevé, ils descendirent joyeux et ils glorifièrent le Dieu
d'Israël.
7.1.
Les mois se succédèrent : l'enfant atteignit deux ans. Joachim dit : «
Menons-la au temple du Seigneur, pour accomplir la promesse que nous avons
faite. Sinon le Maître s'irriterait contre nous et rejetterait notre offrande.
» Mais Anne répondit : « Attendons sa troisième année, de peur qu'elle ne
réclame son père ou sa mère. » Joachim opina : « Attendons. »
2.
L'enfant eut trois ans. Joachim dit : « Appelons les filles des Hébreux, celles
qui sont sans tache. Que chacune prenne un flambeau et le tienne allumé :
ainsi, Marie ne se retournera pas et son coeur ne sera pas retenu captif hors
du temple du Seigneur. » L'ordre fut suivi, et elles montèrent au temple du
Seigneur. Et le prêtre accueillit l'enfant et l'ayant embrassée, il la bénit et
dit : « Le Seigneur Dieu a exalté ton nom parmi toutes les générations. En toi,
au dernier des jours, le Seigneur manifestera la rédemption aux fils d'Israël.
»
3.
Et il la fit asseoir sur le troisième degré de l'autel. Et le Seigneur Dieu
répandit sa grâce sur elle. Et ses pieds esquissèrent une danse et toute la
maison d'Israël l'aima.
8.1.
Ses parents descendirent, émerveillés, louant et glorifiant le Dieu souverain
qui ne les avait pas dédaignés. Et Marie demeurait dans le temple du Seigneur,
telle une colombe, et elle recevait sa nourriture de la main d'un ange.
2.
Quand elle eut douze ans, les prêtres se consultèrent et dirent : « Voici que
Marie a douze ans, dans le temple du Seigneur. Que ferons-nous d'elle, pour
éviter qu'elle ne rende impur le sanctuaire du Seigneur notre Dieu ? » Et ils
dirent au grand-prêtre : « Toi qui gardes l'autel du Seigneur, entre et prie au
sujet de cette enfant. Ce que le Seigneur te dira, nous le ferons. »
3.
Et le prêtre revêtit l'habit aux douze clochettes pénétra dans le Saint des
Saints et se mit en prière. Et voici qu'un ange du Seigneur apparut, disant : «
Zacharie, Zacharie, sors et convoque les veufs du peuple. Qu'ils apportent
chacun une baguette. Et celui à qui le Seigneur montrera un signe en fera sa
femme. »
Des
hérauts s'égaillèrent dans tout le pays de Judée et la trompette du Seigneur
retentit, et voici qu'ils accoururent tous.
9.1.
Joseph jeta sa hache et lui aussi alla se joindre à la troupe. Ils se rendirent
ensemble chez le prêtre avec leurs baguettes. Le prêtre prit ces baguettes,
pénétra dans le temple et pria. Sa prière achevée, il reprit les baguettes,
sortit et les leur rendit. Aucune ne portait de signe. Or Joseph reçut la
sienne le dernier. Et voici qu'une colombe s'envola de sa baguette et vint se
percher sur sa tête. Alors le prêtre : « Joseph, Joseph, dit-il, tu es l'élu :
c'est toi qui prendras en garde la vierge du Seigneur. »
2.
Mais Joseph protesta : « J'ai des fils, je suis un vieillard et elle est une
toute jeune fille. Ne vais-je pas devenir la risée des fils d'Israël ? »
«
Joseph, répondit le prêtre, crains le Seigneur ton Dieu, et souviens-toi du
sort que Dieu a réservé à Dathan, Abiron et Corê. La terre s'entrouvrit et les
engloutit tous à la fois, parce qu'ils lui avaient résisté. Et maintenant,
Joseph, crains de semblables fléaux sur ta maison ! »
3.
Très ému, Joseph prit la jeune fille sous sa protection et lui dit : « Marie,
le temple du Seigneur t'a confiée à moi. Maintenant je te laisse en ma maison.
Car je pars construire mes bâtiments. Je reviendrai auprès de toi. Le Seigneur
te gardera. »
10.1.
Cependant, les prêtres s'étaient réunis et avaient décidé de faire tisser un
voile pour le temple du Seigneur. Et le grand prêtre dit : « Appelez-moi les
jeunes filles de la tribu de David, qui sont sans tache. » Ses serviteurs
partirent, cherchèrent et en trouvèrent sept. Mais le prêtre se souvint que la
jeune Marie était de la tribu de David et qu'elle était sans tache devant Dieu.
Et les serviteurs partirent et l'amenèrent.
2.
Et l'on fit entrer ces jeunes filles dans le temple du Seigneur. Et le prêtre
leur dit : « Tirez au sort laquelle filera l'or, l'amiante, le lin, la soie, le
bleu, l'écarlate et la pourpre véritable. »
La
pourpre véritable et l'écarlate échurent à Marie. Elle les prit et rentra chez
elle.
C'est
à ce moment-là que Zacharie devint muet et que Samuel le remplaça jusqu'à ce
qu'il eût retrouvé la parole.
Et
Marie saisit l'écarlate et se mit à filer.
11.1.
Or elle prit sa cruche et sortit pour puiser de l'eau. Alors une voix retentit
: « Réjouis-toi, pleine de grâce. Le Seigneur est avec toi. Tu es bénie parmi
les femmes. »
Marie
regardait à droite et à gauche : d'où venait donc cette voix ? Pleine de
frayeur, elle rentra chez elle, posa sa cruche, reprit la pourpre, s'assit sur
sa chaise et se remit à filer.
2.
Et voici qu'un ange debout devant elle disait : « Ne crains pas, Marie, tu as
trouvé grâce devant le Maître de toute chose. Tu concevras de son Verbe. »
Ces
paroles jetèrent Marie dans le désarroi. « Concevrai-je, moi, du Seigneur,
dit-elle, du Dieu vivant, et enfanterai-je comme toute femme ? »
3.
Et voici que l'ange, toujours devant elle, lui répondit : « Non, Marie. Car la
puissance de Dieu te prendra sous son ombre. Aussi le saint enfant qui naîtra
sera-t-il appelé le fils du Très-Haut. Tu lui donneras le nom de Jésus, car il
sauvera son peuple de ses péchés. » Et Marie dit alors : « Me voici devant lui
sa servante ! Qu'il m'advienne selon ta parole. »
12.1.
Et elle reprit son travail de pourpre et d'écarlate puis l'apporta au prêtre.
Et
quand le prêtre le reçut, il la bénit et dit : « Marie, le Seigneur Dieu a
exalté ton nom et tu seras bénie parmi toutes les générations de la terre. »
2.
Pleine de joie, Marie se rendit chez sa parente Elisabeth et frappa à la porte.
En l'entendant, Elisabeth jeta l'écarlate, courut à la porte, ouvrit, et là
bénit en ces termes : « Comment se fait-il que la mère de mon Seigneur vienne à
moi ? Car vois-tu, l'enfant a tressailli et t'a bénie. »
Or
Marie avait oublié les mystères dont avait parlé l'ange Gabriel. Elle leva les
yeux au ciel et dit : « Qui suis-je, pour que toutes les femmes de la terre me
proclament bienheureuse ? »
3.
Et elle demeura trois mois chez Elisabeth. Et de jour en jour son sein
s'arrondissait. Inquiète, elle regagna sa maison et elle se cachait des fils
d'Israël. Elle avait seize ans, quand s'accomplirent ces mystères.
13.1.
Son sixième mois arriva, et voici que Joseph revint des chantiers; il entra
dans la maison et s'aperçut qu'elle était enceinte. Et il se frappa le visage
et se jeta à terre sur son sac et il pleura amèrement, disant : « Quel front
lèverai-je devant le Seigneur Dieu ? Quelle prière lui adresserai-je ? Je l'ai
reçue vierge du temple du Seigneur et je ne l'ai pas gardée. Qui m'a trahi ?
Qui a commis ce crime sous mon toit ? Qui m'a ravi la vierge et l'a souillée ?
L'histoire d'Adam se répète-t-elle à mon sujet ? Car tandis qu'Adam faisait sa
prière de louange, le serpent s'approcha et surprit Eve seule ; il la séduisit
et la souilla. La même disgrâce me frappe. »
2.
Et Joseph se releva de son sac et appela Marie : « Toi la choyée de Dieu,
qu'as-tu fait là ? As-tu oublié le Seigneur ton Dieu ? Pourquoi t'es-tu
déshonorée, toi qui as été élevée dans le Saint des Saints et as reçu
nourriture de la main d'un ange ? »
3.
Et elle pleura amèrement, disant : « Je suis pure et je ne connais pas d'homme.
» Et Joseph lui dit : « D'où vient le fruit de ton sein ? » Et elle répondit :
« Aussi vrai que vit le Seigneur mon Dieu, j'ignore d'où il vient. »
14.1.
Et Joseph, rempli de frayeur, se tint coi, et il se demandait ce qu'il devait
faire d'elle. « Si je garde le secret sur sa faute, se disait-il, je
contreviendrai à la loi du Seigneur. Mais si je la dénonce aux fils d'Israël,
et que son enfant vienne d'un ange, ce dont j'ai bien peur, alors je livre à la
peine capitale un sang innocent. Que ferai-je d'elle ? Je la répudierai en
secret. »
La
nuit le surprit dans ces réflexions.
2.
Et voici qu'un ange du Seigneur lui apparut en songe, disant : « Ne t'inquiète
pas à propos de cette enfant. Ce qui est en elle vient de l'Esprit saint. Elle
t'enfantera un fils auquel tu donneras le nom de Jésus. Car il sauvera son
peuple de ses péchés. »
Joseph
se réveilla et glorifia le Dieu d'Israël qui lui avait donné sa grâce. Et il
garda la jeune fille.
15.1.
Or le scribe Anne vint le voir et lui dit : « Joseph, pourquoi n'as-tu point
paru à notre réunion ?
-
Mon voyage m'avait fatigué, répondit-il, et j'ai passé le premier jour à me
reposer. » Mais Anne se retourna et vit Marie enceinte.
2.
Et il partit en courant chez le prêtre et lui dit : « Eh bien, ce Joseph dont
tu te portes garant, a commis une faute ignoble. - Quoi donc ? » demanda le
grand-prêtre. L'autre reprit: « Il a déshonoré la jeune fille que le temple du
Seigneur lui avait confiée et il l'a épousée secrètement, sans avertir les fils
d'Israël ! » Et le grand-prêtre lui dit : « Joseph a-t-il fait cela ? » Et
l'autre répondit : « Envoie tes gens et tu verras que la jeune fille est
enceinte. » Des serviteurs partirent et la trouvèrent dans l'état qu'il avait
dit. Ils la ramenèrent au temple et elle comparut au tribunal.
3.
Le grand-prêtre lui dit : « Marie, qu'as-tu fait là ? Pourquoi as-tu perdu ton
honneur ? As-tu oublié le Seigneur ton Dieu, toi qui fus élevée dans le Saint
des Saints et qui reçus nourriture de la main des anges ? Toi qui entendis leurs
hymnes et dansas devant eux ? Qu'as-tu fait là ? »
Et
elle pleura amèrement et dit : « Aussi vrai que vit le Seigneur Dieu, je suis
pure devant sa face et ne connais pas d'homme. »
4.
Et le grand-prêtre dit : « Et toi, Joseph, qu'as-tu fait ? » Et Joseph répondit
: « Aussi Vrai que vit le Seigneur et que vivent son Christ et le témoin de sa
vérité, je suis pur vis-à-vis d'elle. » Le grand-prêtre insista : « Ne rends
pas de faux témoignage ! Dis la vérité ! Tu l'as épousée en cachette, tu n'as
rien dit aux fils d'Israël et tu n'as pas incliné ta tête sous la puissante
main qui eût béni ta postérité ! » Et Joseph garda le silence.
16.1.
Le grand-prêtre reprit : « Rends-nous la jeune fille que tu avais reçue du
temple du Seigneur. » Joseph fondit en larmes. Le grand-prêtre ajouta : « Je
vous ferai boire l'eau de l'épreuve rituelle et votre faute éclatera à vos
yeux. »
2.
Le grand-prêtre prit de l'eau, en fit boire à Joseph puis il l'envoya au
désert. Or celui-ci revint indemne. Et il fit boire aussi la jeune fille et
l'envoya au désert. Et elle redescendit, indemne. Et tout le peuple s'étonna
que leur faute n'eût pas été manifestée.
3.
Alors le grand-prêtre dit : « Puisque le Seigneur Dieu n'a pas révélé de péché
en vous, moi non plus je ne vous condamne pas. » Et il les laissa partir. Et
Joseph prit Marie et rentra chez lui, heureux et louant le Dieu d'Israël.
17.1.
Il parut un édit du roi Auguste qui invitait tous les habitants de Bethléem en
Judée, à se faire recenser. Et Joseph dit : « J'irai inscrire mes fils. Mais
que faire avec cette enfant ? Comment la recenser ? Comme ma femme ? Je ne puis
décemment. Comme ma fille ? Mais les fils d'Israël savent que je n'ai pas de
fille. Qu'en ce jour donc, le Seigneur en décide à son gré. »
2.
Et il sella son âne et la jucha dessus. Son fils tirait la bride et Samuel
suivait. Et ils entamaient le troisième mille quand Joseph se retourna et la
vit fort rembrunie. « L'enfant qu'elle porte, pensa-t-il, doit la faire
souffrir. » Il se tourna une nouvelle fois et vit qu'elle riait. Il lui dit : «
Marie, qu'as-tu donc ? Je vois tour à tour joie et tristesse sur ton visage. »
Et elle lui dit : « Joseph, deux peuples sont sous mes yeux. L'un pleure et se
frappe la poitrine, l'autre danse et fait la fête. »
3.
Ils étaient à mi-chemin, quand Marie lui dit : « Joseph, aide-moi à descendre
de l'âne. L'enfant, en moi, me presse et va naître. » Il lui fit mettre pied à
terre et lui dit : « Où t'emmener? Où abriter ta pudeur ? L'endroit est à
découvert. »
18.1.
Mais il trouva là une grotte, l'y conduisit et la confia à la garde de ses
fils. Puis il partit chercher une sage-femme juive dans le pays de Bethléem.
[Il en trouva une qui descendait de la montagne et il l'amena.]
2.
« Or moi, Joseph, je me promenais et ne me promenais pas. Et je levai les yeux
vers la voûte du ciel et je la vis immobile, et je regardai en l'air et je le
vis figé d'étonnement. Et les oiseaux étaient arrêtés en plein vol. Et
j'abaissai mes yeux sur la terre et je vis une écuelle et des ouvriers étendus
pour le repas, et leurs mains demeuraient dans l'écuelle. Et ceux qui mâchaient
ne mâchaient pas et ceux qui prenaient de la nourriture ne la prenaient pas et
ceux qui la portaient à la bouche ne l'y portaient pas. Toutes les faces et
tous les yeux étaient levés vers les hauteurs.
3.
Et je vis des moutons que l'on poussait, mais les moutons n'avançaient pas. Et
le berger levait la main pour les frapper, et sa main restait en l'air. Et je
portai mon regard sur le courant de la rivière et je vis des chevreaux qui
effleuraient l'eau de leur museau, mais ne la buvaient pas.
Soudain
la vie reprit son cours.
19.1.
Et je vis une femme qui descendait de la montagne et elle m'interpella : « Eh,
l'homme, où vas-tu ? » Je répondis : « Je vais chercher une sage-femme juive. -
Es-tu d'Israël ? me demanda-t-elle encore. - Oui », lui dis-je. Elle reprit : «
Et qui donc est en train d'accoucher dans la grotte ? »
[Et
Joseph dit à la sage-femme : « C'est Marie, ma fiancée; mais elle a conçu de
l'Esprit saint, après avoir été élevée dans le temple du Seigneur. »]
Et
je lui dis : « C'est ma fiancée. - Elle n'est donc pas ta femme ? »
demanda-t-elle. Et je lui dis : « C'est Marie, celle qui a été élevée dans le
temple du Seigneur. J'ai été désigné pour l'épouser, mais elle n'est pas ma
femme, et elle a conçu du Saint-Esprit. » Et la sage-femme dit : « Est-ce la
vérité ? » Joseph répondit : « Viens et vois. »
Et
elle partit avec lui, 2. et ils s'arrêtèrent à l'endroit de la grotte. Une
obscure nuée enveloppait celle-ci. Et la sage-femme dit : « Mon âme a été
exaltée aujourd'hui car mes yeux ont contemplé des merveilles : le salut est né
pour Israël. » Aussitôt la nuée se retira de la grotte et une grande lumière
resplendit à l'intérieur, que nos yeux ne pouvaient supporter. Et peu à peu
cette lumière s'adoucit pour laisser apparaître un petit enfant. Et il vint
prendre le sein de Marie sa mère. Et la sage-femme s'écria : « Qu'il est grand
pour moi ce jour ! J'ai vu de mes yeux une chose inouïe. »
3.
Et la sage-femme sortant de la grotte, rencontra Salomé et elle lui dit : «
Salomé, Salomé, j'ai une étonnante nouvelle à t'annoncer : une vierge a
enfanté, contre la loi de nature. » Et Salomé répondit : « Aussi vrai que vit
le Seigneur mon Dieu, si je ne mets mon doigt et si je n'examine son corps, je
ne croirai jamais que la vierge a enfanté. »
20.1.
Et la sage-femme entra et dit : « Marie, prépare-toi car ce n'est pas un petit
débat qui s'élève à ton sujet. » A ces mots, Marie se disposa. Et Salomé mit
son doigt dans sa nature et poussant un cri, elle dit : « Malheur à mon impiété
et à mon incrédulité ! disait-elle, j'ai tenté le Dieu vivant ! Et voici que ma
main se défait, sous l'action d'un feu. »
2.
Et Salomé s'agenouilla devant le Maître, disant : « Dieu de mes pères, souviens-toi
que je suis de la lignée d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Ne m'expose pas au
mépris des fils d'Israël, mais rends-moi aux pauvres. Car tu sais, ô Maître,
qu'en ton nom je les soignais, recevant de toi seul mon salaire.
3.
Et voici qu'un ange du Seigneur parut, qui lui dit : « Salomé, Salomé, le
Maître de toute chose a entendu ta prière. Etends ta main sur le petit enfant,
prends-le. Il sera ton salut et ta joie. »
4.
Et Salomé, toute émue, s'approcha de l'enfant, le prit dans ses bras, disant :
« Je l'adorerai. Il est né un roi à Israël et c'est lui. » Aussitôt Salomé fut
guérie, et elle sortit de la grotte, justifiée. Et voici qu'une voix parla «
Salomé, Salomé, n'ébruite pas les merveilles que tu as contemplées, avant que
l'enfant ne soit entré à Jérusalem. »
21.1.
Alors que Joseph se préparait à partir pour la Judée une vive agitation éclata
à Bethléem de Judée.
Les
mages arrivèrent, disant : « Où est le roi des Juifs ? Nous avons vu son étoile
en Orient, et nous sommes venus l'adorer. »
2.
Cette nouvelle alarma Hérode qui dépêcha des serviteurs auprès des mages. Il
convoqua aussi les grands prêtres et les interrogea au prétoire : « Qu'est-il
écrit sur le Christ ? demanda-t-il. Où doit-il naître ? » Ils répondirent : « A
Bethléem en Judée. Ainsi est-il écrit. » Et il les congédia.
Puis
il interrogea les mages, leur disant : « Quel signe avez-vous vu au sujet du
roi nouveau-né ? » Et les mages répondirent : « Nous avons vu une étoile
géante, parmi les autres constellations, si éblouissante qu'elle les éclipsait
toutes. Ainsi avons-nous compris qu'un roi était né à Israél et nous sommes
venus l'adorer. »
Hérode
leur dit : « Partez à sa recherche, et si vous le trouvez, faites-le moi savoir
afin que moi aussi j'aille l'adorer. »
3.
Les mages partirent. Et voici, l'astre qu'ils avaient vu en Orient les
conduisit jusqu'à ce qu'ils fussent arrivés à la grotte, et au-dessus de la
tête de l'enfant, il s'arrêta.
Quand
ils l'eurent vu là, avec Marie sa mère, les mages tirèrent des présents de
leurs sacs, or, encens et myrrhe.
4.
Mais comme l'ange les avait avertis de ne pas repasser par la Judée, ils
rentrèrent chez eux par un autre chemin.
22.1.
Alors Hérode, voyant qu'il avait été joué par les mages, se mit en colère et
envoya des tueurs avec mission de faire périr tous les enfants jusqu'à l'âge de
deux ans.
2.
Quand Marie apprit ce massacre, saisie d'effroi, elle prit l'enfant,
l'emmaillota et le cacha dans une mangeoire à bétail.
3.
Elisabeth, qui avait appris que l'on cherchait Jean, l'emporta et gagna la
montagne, et elle regardait à la ronde où le dissimuler mais elle n'apercevait
point de cachette. Alors elle se mit à gémir, disant : « Montagne de Dieu,
accueille une mère et son enfant ! » Car la frayeur l'empêchait de monter.
Aussitôt la montagne se fendit et la reçut en son sein, tout en laissant
filtrer une clarté pour elle. Car un ange du Seigneur était avec eux et il les
protégeait.
23.1.
Mais Hérode cherchait toujours Jean, et il envoya des serviteurs à l'autel,
auprès de Zacharie, pour lui demander : « Où as-tu caché ton fils ? » Il
répondit « Je suis le serviteur de Dieu et je demeure attaché à son temple.
Est-ce que je sais où est mon fils ? »
2.
Les serviteurs repartirent et rapportèrent à Hérode ses propos. Celui-ci,
furieux, s'écria : « Son fils va donc régner sur Israël ? » Et il renvoya ses
serviteurs pour l'interroger encore : « Dis-moi la vérité. Où est ton fils ?
Sais-tu que ma main a pouvoir de répandre ton sang ? » Les serviteurs partirent
et transmirent le message.
3.
Mais Zacharie lui fit répondre : « Je suis le martyr de Dieu. Dispose de mon
sang ; mais mon esprit, le Maître le recevra, parce que c'est un sang innocent
qu'à l'entrée du temple tu t'apprêtes à faire couler. »
Et
vers l'aube, Zacharie fut assassiné, et les fils d'Israël ignoraient tout de ce
meurtre.
24.1.
A l'heure de la salutation, les prêtres partirent, et Zacharie ne vint pas,
comme à l'accoutumée, au-devant d'eux, en prononçant les bénédictions. Les
prêtres s'arrêtèrent, et attendirent Zacharie pour le saluer avec des prières
et glorifier le Dieu très haut.
2.
Son retard cependant les plongea tous dans l'angoisse. L'un d'eux s'enhardit et
entra dans le sanctuaire ; près de l'autel du Seigneur, il aperçut du sang
figé. Et une voix retentit : « Zacharie a été assassiné. Son sang ne s'effacera
pas avant que vienne le vengeur. » Ces paroles le remplirent d'effroi. Il
sortit et annonça aux prêtres ce qu'il avait vu et entendu.
3.
Résolument, ils entrèrent et constatèrent le drame. Et les lambris du temple
gémirent et eux déchirèrent leurs vêtements du haut en bas. Ils n'avaient pas
trouvé son cadavre, mais ils avaient vu son sang pétrifié. Ils sortirent
effrayés et annoncèrent que Zacharie avait été assassiné.
A
cette nouvelle, toutes les tribus du peuple se lamentèrent et menèrent le deuil
trois jours et trois nuits.
4.
Et après les trois jours, les prêtres délibérèrent pour savoir qui succéderait
à Zacharie. Le sort tomba sur Syméon. C'était lui que le Saint-Esprit avait
averti qu'il ne verrait pas la mort avant d'avoir contemplé le Christ dans la
chair.
25.1.
Et moi, Jacques, qui ai écrit cette histoire à Jérusalem, je résolus, lors des
troubles qui éclatèrent à la mort d'Hérode, de me retirer au désert, jusqu'à ce
que la paix fût revenue à Jérusalem. Et je glorifierai le Maître qui m'a donné
la sagesse d'écrire cette histoire.
2.
La grâce sera avec tous ceux qui craignent le Seigneur. Amen.
Nativité
de Marie.
Révélation
de Jacques.
Paix
à celui qui a écrit et à celui qui lit !
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