LXVII. RAPPORT DES GARDES SUR LE
TOMBEAU
Cassius était venu trouver Pilate environ une heure après la
résurrection. Le gouverneur romain était encore couché, et on fit entrer
Cassius près de lui. Il lui raconta tout ce qu'il avait vu avec une grande
émotion, lui parla du rocher ébranlé, de la pierre repoussée par un ange, des
linceuls restés vides : il ajouta que Jésus était certainement le Messie et le
Fils de Dieu, qu'il était ressuscité et qu'il n'était plus là. Il parla encore
de diverses autres choses qu'il avait vues. Pilate écouta ce récit avec une
terreur secrète, mais il n'en laissa rien voir, et dit à Cassius : Tu es un
superstitieux, tu as follement agit en allant te mettre près du tombeau du
Galiléen ; ses dieux ont pris avantage sur toi, et t'ont fait voir toutes ces
visions fantastiques ; je te conseille de ne pas raconter cela aux Princes des
prêtres, car ils te feraient un mauvais parti. Il fit aussi semblant de croire
que le corps de Jésus avait été dérobé par ses disciples et que les gardes
racontaient la chose autrement, soit pour s'excuser et cacher leur négligence,
soit parce qu'ils avaient été trompés par des sortilèges. Quand il eût parlé
quelque temps sur ce ton, Cassius le quitta, et Pilate alla sacrifier à ses
dieux.
Quatre soldats vinrent bientôt faire le même récit à Pilate ; mais il ne
s'expliqua pas avec eux et les renvoya à Caïphe. Je vis une partie de la garde
dans une grande cour voisine du Temple où étaient rassemblés beaucoup de vieux
Juifs. Après quelques délibérations, on prit les soldats un à un, et, à force
d'argent et de menaces, on les poussa à dire que les disciples avaient enlevé
le corps de Jésus pendant leur sommeil. Ils objectèrent d'abord que leurs
compagnons qui étaient allés chez Pilate les contrediraient, et les Pharisiens
leur promirent d'arranger la chose avec le gouverneur ! Mais lorsque les quatre
gardes arrivèrent, ils ne voulurent pas dire autrement qu'ils n'avaient fait
chez Pilate.
Le bruit s'était déjà répandu que Joseph d'Arimathie était sorti
miraculeusement de sa prison, et comme les Pharisiens donnaient à entendre que
ces soldats avaient été subornés pour laisser enlever le corps de Jésus et leur
faisaient de grandes menaces, s'ils ne le représentaient pas, ceux-ci
répondirent qu'il ne pouvaient pas plus représenter ce corps, que les gardes de
la prison ne pouvaient représenter Joseph d'Arimathie. Ils persévérèrent dans
leurs dires et parlèrent si librement du jugement inique de l'avant veille, et
de la manière dont
Toutefois cette imposture ne réussit pas généralement, car après la
résurrection de Jésus, beaucoup de justes de l'ancienne loi apparurent de
nouveau à plusieurs de leurs descendants qui étaient encore capables de
recevoir la grâce, et les poussèrent à se convertir à Jésus. Plusieurs
disciples qui s'étaient dispersés dans le pays et dont le courage était abattu,
virent aussi des apparitions semblables qui les consolèrent et les confirmèrent
dans la foi.
L'apparition des morts qui sortirent de leurs tombeaux après la mort de
Jésus ne ressemblait en rien à la résurrection du Seigneur. Jésus ressuscita
avec son corps renouvelé et glorifié, qui n'était plus sujet à la mort et avec
lequel il monta au ciel sous les yeux de ses amis. Mais ces corps sortis du
tombeau n'étaient que des cadavres sans mouvement, donnés un instant pour
vêtement aux âmes qui les avait habités, et qu'elles replacèrent dans le sein
de la terre, d'où ils ne ressusciteront comme nous tous qu'au jugement dernier.
Ils étaient moins ressuscités d'entre les morts que Lazare qui vécut réellement
et dut mourir une seconde fois.