LIV.
Jonadab, qui, poussé hors du temple par une angoisse intérieure, était
venu, au moment du crucifiement, donner son suaire à Jésus pour couvrir sa
nudité, était neveu de saint Joseph, le père nourricier de Jésus, et il
habitait dans les environs de Bethléem. Il revint en hâte du Calvaire au
temple, mais lorsque l'immolation de l'agneau pascal y fut troublée par les
ténèbres, le tremblement de terre et l'apparition des morts, il se hâta de revenir
dans son pays, car sa mère et sa femme étaient malades et il avait des enfants
en bas âge. Je vis ce digne homme reprendre le chemin de sa maison, le coeur
tout change, car auparavant il était resté très indiffèrent à l'enseignement et
aux actes de Jésus, d'autant plus que son père, qui était, je crois, demi frère
de saint Joseph, n'avait pas grande inclination pour le Sauveur. C'était ce
frère qui avait fait une visite assez tardive à Joseph dans la grotte de la
crèche, à Bethléem, et auquel Joseph avait engagé l'âne dont il ne se servait
pas en échange d'une somme d'argent destinée à faire quelques achats pour la
réception des rois mages dont la sainte Vierge lui avait annoncé l'arrivée
d'avance.
Je
vis qu'au grand étonnement de Jonadab, sa mère et sa femme avec ses enfants
vinrent à sa rencontre jusqu'à moitié chemin, tous en parfaite santé. Il n'en
croyait pas ses yeux, car il les avait laissées très malades. Je les vis
l'embrasser et lui raconter comment elles avaient été miraculeusement guéries.
Un peu après midi, une femme d'un extérieur majestueux était entrée dans leur
maison, s'était approchée de leur couche et avait dit : Levez-vous et allez
au-devant de Jonadab, il a couvert un homme nu. Elles s'étaient alors senties
toutes pénétrées d'un sentiment de bien-être, et s étaient levées en parfaite
santé pour remercier cette femme merveilleuse et lui rendre leurs hommages.
Mais lorsqu'elles avaient voulu lui présenter quelques rafraîchissements, elle
avait disparu, laissant la maison pleine d'une odeur suave et elles-mêmes
complètement rassasiées. Aussitôt après, sur la parole de cette femme, elles
étaient parties pour venir à la rencontre de Jonadab et elles le priaient de
leur dire de qui il avait couvert la nudité.
Alors
Jonadab leur raconta avec des pleurs et des sanglots, le crucifiement de Jésus,
ce Jésus, fils de Joseph et de Marie, qui était le Prophète, le Christ, le
Saint d'Israel sur quoi tous déchirèrent leurs habits, en signe de deuil
versèrent des larmes, tout en louant Dieu d'un si grand bienfait pour une
oeuvre de charité si simple, parlèrent des signes effrayants qui s'étaient
montrés en ce jour dans le ciel et sur la terre, et retournèrent dans leur
maison, émus jusqu'au fond de l'âme.
Or,
pendant que la femme de Jonadab racontait à son mari ce qui était arrivé, j'ai
vu moi-même, comme dans un tableau, cette apparition dans leur maison. Je ne
puis dire avec certitude qui c'était : j'ai une idée confuse que c'était une
apparition de la sainte Vierge. J'ai vu aussi que plus tard Jonadab, après
avoir mis ses affaires en ordre, se réunit à la communauté chrétienne.
Lorsque la sainte Vierge, dans son
angoisse, fit à Dieu une ardente prière pour qu'il épargnât à Jésus la honte
d'être exposé nu sur la croix, je vis cette prière exaucée, car mon regard fut
dirigé vers son neveu Jonadab, qui, dominé par une semblable angoisse, sortit
du temple et courut au Calvaire à travers la ville pour venir en aide à Jésus.
Lorsqu'ensuite la sainte Vierge, dans un sentiment de profonde gratitude pour
la compassion de Jonadab, implora sur lui et sur sa maison la bénédiction de
Dieu, Je vis de nouveau sa prière exaucée : car je vis Jonadab éclairé par la
foi en Notre Seigneur et sa famille malade guérie miraculeusement par une
apparition.
Des grâces de ce genre nous sont très souvent accordées à nous-mêmes par
l'effet de nos prières ou de celles d'autrui, mais parce que nous ne voyons pas
des yeux du corps comment elles arrivent, nous n'en sommes pas frappés ou nous
n'y voyons rien de merveilleux. On voit souvent de ces grâces et de ces effets
de la prière se produire par le ministère des saints anges ; c'est pourquoi des
personnes contemplatives qui méditent sur la vie de Jésus et de Marie disent
quelquefois que la sainte Vierge avait tel ou tel nombre d'anges pour la
protéger ou la servir ; elle envoyait des anges ici ou là, pour remplir telle
ou telle mission, etc. Cette manière de parler ne parait étrange qu'à ceux qui
ne sont pas dirigés dans cette voie contemplative : quant aux contemplatifs, il
leur semble tout aussi naturel de voir la reine du ciel entourée d'anges qui la
servent, que de voir les grands de la terre entourés de gardes et de
serviteurs. Quand on regarde Dieu comme son père avec la simplicité d'un
enfant, on ne s'étonne pas de voir les serviteurs de ce Père céleste et on ne
craint pas de les charger de messages où il s'agit de la gloire de Dieu. Il
m'arrive souvent en priant pour autrui de supplier instamment mon ange gardien,
pour l'amour de Jésus-Christ, d'aller dire telle et telle chose à l'ange d'une
autre personne. Pour moi, c'est absolument comme si j'envoyais un ami ou un
homme de confiance pour une affaire importante et je le vois de même aller et
s'acquitter de la commission. Je croyais, dans ma jeunesse, que tous les chrétiens
faisaient ainsi ; mais j'appris plus tard que la plupart ne voyaient pas toutes
ces choses, et je ne pensai pas pour cela que je fusse plus favorisée que les
autres, car je savais bien qu'il a été dit : Heureux ceux qui croient sans
avoir vu.
Les influences de la prière se font sentir de
diverses manières à celui sur lequel elles sont dirigées, suivant les vues
secrètes de Dieu et l'état de grâce de l'homme. Jonadab fut poussé au Calvaire
par un sentiment d'angoisse intérieure et par une compassion soudaine qui
s'éveilla chez lui pour Jésus. D'autres personnes touchées de la grâce divine
se voient averties par un ange de faire telle ou telle chose. s'il eût été dans
les desseins de Dieu que cela arrivât pour Jonadab, il aurait vu la sainte
Vierge lui apparaître et lui dire :
Hâte-toi d'aller couvrir la nudité de mon fils , de même qu'elle apparut
à sa famille lorsque Dieu exauça la prière qu'elle lui avait adressée dans sa
reconnaissance. C'est de la même manière que j'ai vu autrefois la sainte Vierge
apparaître debout sur une colonne (1), devant Saragosse, à l'apôtre saint
Jacques le Majeur qui, dans un danger pressant, implorait le secours de ses
prières, et au même moment, je la voyais dans sa chambre d'Ephèse, ravie en
extase, prier pour Jacques et voler vers lui en esprit. Si elle lui apparut sur
une colonne, c'est qu'il l'avait invoquée comme l'appui, comme le piller de
l'Eglise sur la terre et qu'elle s'était présentée en cette qualité à sa pensée
intérieure, car une colonne est une colonne et apparat sous l'image d'une
colonne, etc.