LI- LE CORPS DE JÉSUS EST EMBAUME
La sainte Vierge s'assit sur une couverture étendue par terre : son
genou droit, un peu relevé, et son des étaient appuyés contre des manteaux
roulés ensemble. On avait tout disposé pour rendre plus facile à cette mère
épuisée de douleur les tristes devoirs qu'elle allait rendre au corps de son
fils. La tête sacrée de Jésus était appuyée sur le genou de Marie : son corps
était étendu sur un drap. La sainte Vierge était pénétrée de douleur et d'amour
: elle tenait une dernière fois dans ses bras le corps de ce fils bien-aimé,
auquel elle n'avait pu donner aucun témoignage d'amour pendant son long martyre
: elle voyait l'horrible manière dont on avait défiguré ce très saint corps ;
elle contemplait de prés ses blessure, elle couvrait de baisers ses joues
sanglantes, pendant que Madeleine reposait son visage sur les pieds de Jésus.
Les hommes se retirèrent dans un petit enfoncement situé au sud-ouest du
Calvaire, pour y préparer les objets nécessaires à l'embaumement. Cassius, avec
quelques soldats qui s'étaient convertis au Seigneur, se tenait à une distance
respectueuse. Tous les gens malintentionnés étaient retournes à la ville, et
les soldats présents formaient seulement urne Barde de sûreté pour empêcher
qu'on ne vint troubler les derniers honneurs rendus à Jésus. Quelques-uns même
prêtaient humblement et respectueusement leur assistance lorsqu'on la leur
demandait. Les saintes femmes donnaient les vases, les éponges, les linges, les
onguents et les aromates, là où il était nécessaire : et, le reste du temps, se
tenaient attentives à quelque distance. Parmi elles se trouvaient Marie de
Cléophas, Salomé et Véronique. Madeleine était toujours occupée près du corps
de Jésus : Quant à Marie d'Héli, soeur aînée de la sainte Vierge, femme d'un
âge avancé, elle était assise sur le rebord de la plate-forme circulaire et
regardait. Jean aidait continuellement la sainte Vierge, il servait de messager
entre les hommes et les femmes, et prêtait assistance aux uns et aux autres. On
avait pourvu à tout. Les femmes avaient prés d'elles des outres de cuir et un
vase plein d'eau, placé sur un feu de charbon. Elles présentaient à Marie et à
Madeleine, selon que celles-ci en avaient besoin, des vases pleins d'eau pure
et des éponges, qu'elles exprimaient ensuite dans les outres de cuir. Je crois
du moins que les objets ronds que je les vis ainsi presser dans leurs mains
étaient des éponges.
(1)
Le vendredi saint, 30 mars 1820, comme
La sainte Vierge conservait un courage admirable dans son inexprimable
douleur. Elle ne pouvait pas laisser le corps son fils dans l'horrible état où
l'avait mis son supplice, et c'est pourquoi elle commença avec une activité
infatigable à le laver et à effacer la trace des outrages qu'il avait soufferts
Elle retira avec les plus grandes précautions la couronne d'épines, en
l'ouvrant par derrière et en coupant une à une les épines enfoncées dans la
tête de Jésus, afin de ne pas élargir les plaies par le mouvement. On posa la couronne
prés des clous ; alors Marie retira les épines restées dans les blessures avec une
espèce de tenailles arrondies de couleur jaune (t), et les montra à ses amis
avec tristesse. On plaça ces épines avec la couronne : toutefois quelques-unes
peuvent avoir été conservées à part. On pouvait à peine reconnaître je visage
du Seigneur tant il était défiguré par les plaies et le sang dont il était
couvert. La barbe et les cheveux étaient collés ensemble. Marie lava la tête et
je visage, et passa des éponges mouillées sur la chevelure pour enlever le sang
desséché. A mesure qu'elle lavait, les horribles cruautés exercées sur Jésus se
montraient plus distinctement, et il en naissait une compassion et une
tendresse qui croissaient d'une blessure à l'autre. Elle lava les plaies de la
tête, le sang qui remplissait les yeux, les narines et les oreilles avec une
éponge et un petit linge étendu sur les doigts de sa main droite ; elle
nettoya, de la même manière, sa bouche entrouverte, sa langue, ses dents et ses
lèvres. Elle partagea ce qui restait de la chevelure du Sauveur en trois
parties (1), une partie sur chaque temps, et l'autre sur le derrière de la
tête, et lorsqu'elle eut démêlé les cheveux de devant, et qu'elle leur eut
rendu leur poli, elle les fit passer derrière les oreilles.
(1) La coeur Emmerich dit que ces
tenailles lui rappelèrent par leur forme les ciseaux avec lesquels on avait
coupé la chevelure de Samson. Elle avait antérieurement décrit ces ciseaux
comme il suit : Dalila avait dans la
main une singulière paire de ciseaux. Ils étaient de forme arrondie, grands
comme la tranche d'une grosse pomme, et ils se rouvraient d'eux-mêmes.
C'étaient comme une espèce de pince ou de tenaille faite d'un morceau de métal
mince et arrondi, dont les extrémités tranchantes ce rapprochaient pour couper
et se séparaient lorsque la pression cessait.
Dans ses visions de la troisième année de la prédication de Jésus, elle
avait vu le Sauveur faire le sabbat à Misael, ville de Lévites, dans la tribu
d'Aser ; et, comme on lut dans la synagogue une partie du livre des Juges,
Quand la tête fut nettoyée, la sainte Vierge la voila, après avoir baisé
les joues de son fils. Elle s'occupa ensuite du cou, des épaules, de la poitrine,
du des, des bras et des mains déchirées. Ce fut alors seulement qu'on put voir
dans toute leur horreur les ravages opérés par tant d'affreux supplices. Tous
les os de la poitrine, toutes les jointures des membres étaient disloqués et ne
pouvaient plus se plier. L'épaule sur laquelle avait porté le poids de la croix
avait été entamée par une affreuse blessure ; toute la partie supérieure du
corps était couverte de meurtrissures et labourées par les coups de fouet. Prés
de la mamelle gauche était une petite plaie par où était ressortie la pointe de
la lance de Cassius, et dans le côté droit s'ouvrait la large blessure où était
entrée cette lance qui avait traversé le coeur de part en part.
(1) La soeur Emmerich avait coutume,
lorsqu'elle parlait de personnages historiques importants, d'indiquer en
combien de parties ils divisaient leur chevelure : Elle, disait-elle,
partageait sa chevelure en deux, Marie la partageait en trois et elle
paraissait attacher une certaine Importance à ces paroles. L'occasion ne se
rencontra pas de donner à ce sujet des explications qui auraient probablement
jeté quelque lumière sur le rôle que jouaient les cheveux dans les sacrifices,
les voeux, les funérailles les consécrations, etc. Elle dit une fois de Samson
: ses blonds cheveux, longs et épais,
étaient relevés autour de sa tête en sept tresses, comme un casque, l'extrémité
de ces tresses était réunie dans des espèces de bourses sur son front et ses
tempes. Ses cheveux n'étaient pas par eux-mêmes la source de sa force, ils
l'étaient seulement comme témoins du voeu qu'il avait tait de les laisser croître
en l'honneur de Dieu. Les forces qui reposaient sur les sept tresses étaient
les sept dons du Saint Esprit. Il devait avoir déjà fait des infractions
notables à ses voeux et perdu beaucoup de grâces lorsqu'il laissa couper cette
marque de sa qualité de Nazaréen. Je ne vis pas toutefois Dalila lui couper
toute sa chevelure ; Je crois qu'il lui resta une touffe sur le front. Il lui
resta aussi la grâce de la pénitence et du repentir par laquelle il recouvra la
force de détruire ses ennemis. La vie de Samson est une vie figurative et prophétique.
Marie
lava et nettoya toutes ces plaies, et Madeleine, à genoux, l'aidait de temps en
temps, mais sans quitter les pieds de Jésus qu'elle baignait, pour la dernière
fois, de larmes abondantes et qu'elle essuyait avec sa chevelure.
La tête, la poitrine et les pieds du
Sauveur étaient lavés : le saint corps, d'un blanc bleuâtre, comme de la chair
où il n'y a plus de sang, parsemé de taches brunes et de places rouges aux
endroits où la peau avait été enlevée, reposait sur les genoux de Marie, qui
couvrit d'un voile les parties lavées, et s'occupa d'embaumer toutes les
blessures en commençant de nouveau par la tête. Les saintes femmes s'agenouillant
vis-à-vis d'elle, lui présentaient tour à tour une boite où elle prenait entre
le pouce et l'index de je ne sais quel baume ou onguent précieux dont elles
remplissait et enduisait les blessures. Elle oignit aussi la chevelure : elle
prit dans sa main gauche les mains de Jésus, les baisa avec respect, puis
remplit de cet onguent ou de ces aromates les larges trous faits par les clous.
Elle en remplit aussi les oreilles, les narines et la plaie du côté. Madeleine
essuyait et embaumait les pieds du Seigneur : puis elle les arrosait encore de
ses larmes et y appuyait souvent son visage.
On ne jetait pas l'eau dont on s'était servi, mais on la versait dans
les outres de cuir où l'on exprimait les éponges. Je vis plusieurs fois Cassius
ou d'autres soldats aller puiser de nouvelle eau à la fontaine de Gihon, qui
était assez rapprochée pour qu'on pût la voir du jardin ou était le tombeau.
Lorsque la sainte Vierge eut enduit d'onguent toutes les blessures, elle
enveloppa la tête dans des linges, mais elle ne couvrit pas encore je visage.
Elle ferma les yeux entrouverts de Jésus, et y laissa reposer quelque temps sa
main. Elle ferma aussi la bouche, puis embrassa le saint corps de son fils, et
laissa tomber son visage sur celui de Jésus. Madeleine, par respect, ne toucha
pas de son visage la face de Jésus : elle se contenta de le faire reposer sur
les pieds du Sauveur. Joseph et Nicodème attendaient depuis quelque temps,
lorsque Jean s'approcha de la sainte Vierge, pour la prier de se séparer du
corps de son fils, afin qu'on pût achever de l'embaumer, parce que le sabbat
était proche. Marie embrassa encore une fois le corps et lui dit adieu dans les
termes les plus touchants. Alors les hommes l'enlevèrent du sein de sa mère sur
le drap où il était placé, et le portèrent à quelque distance. Marie, rendue à
sa douleur que ses soins pieux avaient un instant soulagée, tomba, la tête
voilée, dans les bras des saintes femmes. Madeleine comme si on eût voulu lui
dérober son bien-aimé, se précipita quelques pas en avant, les bras étendus,
puis revint vers la sainte Vierge. On porte le corps en un lieu plus bas que la
cime du Golgotha ; il s'y trouvait dans un enfoncement une belle pierre unie.
Les hommes avaient disposé cet endroit pour y embaumer le corps. Je vis d'abord
un linge à mailles d'un travail assez semblable à celui de la dentelle et qui
me rappela le grand rideau brodé qu'on suspend entre le choeur et la nef
pendant le carême (1).
Lorsque dans mon enfance, je voyais suspendre ce rideau, je croyais toujours
que c'était le drap que j'avais vu servir à l'ensevelissement du Sauveur. Il
était probablement ainsi travaille à jour afin de laisser couler l'eau. Je vis
encore un autre grand drap déployé. On plaça le corps du Sauveur sur la pièce
d'étoffe à jour, et quelques-uns des hommes tinrent l'autre drap étendu
au-dessus de lui. Nicodème et Joseph s'agenouillèrent, et sous cette
couverture, enlevèrent le linge dont ils avaient entouré les reins du Sauveur
lors de la descente de croix ; après quoi ils ôtèrent la ceinture que Jonadab,
neveu de saint Joseph, avait apportée à Jésus avant le crucifiement. Ils
passèrent ensuite des éponges sous ce drap, et lavèrent la partie inférieure du
corps ainsi cachée à leurs regards : après quoi ils le soulevèrent à l'aide des
linges placés en travers sous les reins et sous les genoux, et le lavèrent par
derrière sans le retourner et en ne laissant toujours couvert du même drap. Ils
le lavèrent ainsi jusqu'au moment où les éponges pressées ne rendirent plus
qu'une eau claire et limpide.
(1) Ceci se rapporte à un usage du
diocèse de Munster. On suspend dans les églises, entre la nef et le choeur ou
devant le maître autel, pendant le carême, un rideau avec des broderies en
points a Jour, représentant les cinq plaies les instruments de
Ensuite, ils versèrent de l'eau de myrrhe sur tout le corps, et, le
maniant avec respect, lui firent reprendre toute sa longueur, car il était
resté dans la position où il était mort sur la croix, les reins et les genoux
courbés. Ils placèrent ensuite sous ses hanches un drap d'une aune de large sur
trois aunes de long, remplirent son giron de paquets d'herbes telles que j'en
vois souvent sur les tables célestes, posées sur de petits plats d'or aux
rebords bleus (1), et ils répandirent sur le tout une poudre que Nicodème avait
apportée. Alors ils enveloppèrent la partie inférieure du corps et attachèrent
fortement autour le drap qu'ils avaient placé au-dessus. Cela fait, ils
oignirent les blessures des hanches, les couvrirent d'aromates, placèrent des
paquets d'encens entre les jambes dans toute leur longueur, et les
enveloppèrent de bas en haut dans ces aromates.
Alors Jean ramena près du corps la sainte Vierge et les autres saintes
femmes. Marie s'agenouilla près de la tête de Jésus. posa au-dessous un linge
très fin qu'elle avait reçu de la femme de Pilate, et quelle portait autour de
son cou, sous son manteau ; puis, aidée des saintes femmes, elle plaça, des
épaules aux joues, des paquets d'herbes, des aromates et de la poudre
odoriférante ; puis elle attacha fortement ce linge autour de la tête et des épaules.
Madeleine versa en outre un flacon de baume dans la plaie du côté, et les
saintes femmes placèrent encore des herbes dans les mains et autour des pieds.
(1) La soeur Emmerich, lorsqu'elle
recevait certaines consolations intérieures qui lui arrivaient par des
symboles, se sentait souvent ravie jusqu'à des festins célestes dont elle
décrivait l'ordonnance avec une joie enfantine Elle décrivait aussi. dans tous
leurs détails la forme et l'espèce des végétaux qui y étaient apportes. Elle
parlait d'assiettes d'or avec un rebord bleu où on lui présentait des herbes
semblables à du cresson ou à de la myrrhe et aussi des fruits de plusieurs
sortes qui la fortifiaient dans les grandes souffrances de l'âme ou du corps.
Dans ces consolations symboliques. les victoires sur elle-même, les actes de
renoncement et de pénitence de sa vie terrestre lui étaient donnés là comme
récompense et comme réfection sous il forme d'herbes ou de fruits dont la
figure ou la substance représentait ces mortifications. La forme. la matière et
la couleur des vases avaient aussi leur signification symbolique. .. On ne
mange point ces mets comme sur la terre, disait-elle. et pourtant on se sent
nourri et rassasié bien plus complètement : car on est rempli de la grâce et de
la force de Dieu dont le fruit qui vous est présenté est la parfaite
expression. La vue des herbes aromatiques employées à embaumer le corps de
Jésus lui rappela ces végétaux célestes.
Alors les hommes remplirent encore d'aromates les aisselles et le creux
de l'estomac : ils entourèrent tout le reste du corps, croisèrent sur son sein
ses bras raidis, et serrèrent le grand drap blanc autour du corps jusqu'à la
poitrine, de même qu'on emmaillote un enfant. Puis, ayant assujetti sous
l'aisselle l'extrémité d'une large bandelette, ils la roulèrent autour de la
tête et autour de tout le corps qui prit ainsi l'aspect d'une poupée
emmaillotée. Enfin, ils placèrent le Sauveur sur le grand drap de six aunes
qu'avait acheté Joseph d'Arimathie, et l'y enveloppèrent : il y était couché en
diagonale ; un coin du drap était relevé des pieds à la poitrine l'autre
revenait sur la tête et las épaules ; les deux antres étaient repliés autour du
corps.
Comme tous entouraient le corps de Jésus et s'agenouillaient autour de
lui pour lui faire leurs adieux, un touchant miracle s'opéra à leurs yeux ; le
corps sacré de Jésus, avec toutes ses blessures, apparut, représenté par une
empreinte de couleur rouge et brune, sur le drap qui le couvrait, comme s'il
avait voulu récompenser leurs soins et leur amour, et leur laisser son portrait
à travers tous les voiles dont il était enveloppé. Ils embrassèrent le corps en
pleurant et baisèrent avec respect sa merveilleuse empreinte. Leur étonnement
fut si grand qu'ils ouvrirent le drap, et il s'accrut encore lorsqu'ils virent
toutes les bandelettes qui liaient le corps blanches comme auparavant, et le
drap supérieur ayant seul reçu cette miraculeuse image. Le côté du drap sur
lequel le corps était couché avait reçu l'empreinte de la partie postérieure,
le côté qui le recouvrait celle de la partie antérieure ; mais pour avoir cette
dernière dans son ensemble, il fallait réunir deux coins du drap qui avaient
été ramenés par-dessus le corps. Ce n'était pas l'empreinte de blessures
saignantes, puisque tout le corps était enveloppé et couvert d'aromates ;
c'était un portrait surnaturel, un témoignage de la divinité créatrice résidant
toujours dans le corps de Jésus. J'ai vu beaucoup de choses relatives à
l'histoire postérieure de ce linge, mais je ne saurais pas les mettre en ordre.
Après la résurrection il resta avec les autres linges au pouvoir des amis de
Jésus. Une fois je vis qu'on l'arrachait à quelqu'un qui le portait sous le
bras ; il tomba deux fois aussi entre les mains des Juifs et fut honoré plus tard
en divers lieux. Il y eut une fois une contestation à son sujet : pour y mettre
fin, on le jeta dans le feu ; mais il s'envola miraculeusement hors des
flammes, et alla tomber dans les mains d'un chrétien. Grâce à la prière de
quelques saints personnages, on a obtenu trois empreintes tant de la partie
postérieure que de la partie antérieure par la simple application d'autres
linges. Ces répétitions, avant reçu de ce contact une consécration que l'Eglise
entendait leur donner par là, ont opéré de grands miracles. J'ai vu l'original,
un peu endommagé et déchiré en quelques endroits, honoré en Asie chez des
chrétiens non catholiques. J'ai oublié le nom de la ville qui est située dans
un pays voisin de la patrie des trois rois. J'ai vu aussi, dans ces visions,
des choses concernant Turin,