XIII. JUGEMENT DU MATIN

 

 

 

     Au point du jour, Caïphe, Anne, les Anciens et les Scribes se rassemblèrent de nouveau dans la grande salle du tribunal pour rendre un jugement tout à fait régulier : car il n'était pas conforme à la loi qu'on jugeât la nuit, et il pouvait y avoir seulement une instruction préparatoire, à cause de l'urgence. La plupart des membres avaient passé le reste de la nuit dans la maison de Caïphe, où on leur avait préparé des lits de repos. Plusieurs, comme Nicodème et Joseph d'Arimathie, vinrent au point du jour. L'assemblée était nombreuse et il y avait dans toutes ses allures beaucoup de précipitation. Comme on voulait condamner Jésus à mort, Nicodème, Joseph et quelques autres tinrent tête à ses ennemis, et demandèrent qu'on différât le jugement jusqu'après la fête, de peur qu'il ne survint des troubles à cette occasion ; ils ajoutèrent qu'on ne pouvait point asseoir un jugement sur les griefs portés devant le tribunal, puisque tous les témoins s'étaient contredits. Les Princes des prêtres et leurs adhérents s'irritèrent et firent entendre clairement à ceux qui les contrariaient qu'étant soupçonnés eux-mêmes d'être favorables à la doctrine du Galiléen ce jugement ne leur déplaisait tant que parce qu'il les atteignait aussi. Ils allèrent jusqu'à vouloir exclure du conseil tous ceux qui étaient favorables à Jésus ; ceux-ci de leur côté protestèrent qu'ils ne prenaient aucune part à tout ce qui pourrait être décidé, quittèrent la salle et se retirèrent dans le Temple.

  

    Caïphe ordonna d'amener Jésus devant ses juges et de se préparer à le conduire vers Pilate immédiatement après le jugement. Les archers se précipitèrent en tumulte dans la prison, délièrent les mains de Jésus en l'accablant d'injures, lui arrachèrent le vieux manteau dont ils l'avaient revêtu, le forcèrent à coups de poing à remettre sa longue robe encore toute couverte des ordures qu'ils y avaient jetées, lui attachèrent de nouveau des cordes au milieu du corps et le conduisirent hors de la prison. Tout cela se fit précipitamment et avec une horrible brutalité. Jésus fut conduit à travers les soldats déjà rassemblés devant la maison, et quand il parut à leurs yeux, semblable à une victime qu'on mène au sacrifice, horriblement défiguré par les mauvais traitements, vêtu seulement de sa robe toute souillée, le dégoût leur inspira de nouvelles cruautés ; car la pitié ne trouvait point de place dans ces Juifs au coeur dur.

    Caïphe, plein de rage contre Jésus qui se présentait devant lui dans un état si déplorable, lui dit : Si tu es l'oint du Seigneur, le Messie, dis-le-nous.  Jésus leva la tête et dit avec une sainte patience et une gravité solennelle : Si je vous le dis, vous ne me croirez pas ; et si je vous interroge, vous ne me répondrez pas, ni ne me laisserez aller ; mais désormais le Fils de l'homme sera assis à la droite de la puissance de Dieu. Ils se regardèrent entre eux et dirent à Jésus avec un rire dédaigneux : Tu es donc le Fils de Dieu  ? Et Jésus répondit avec la voix de la vérité éternelle : Vous le dites, je le suis. A cette parole, ils crièrent tous : Qu'avons-nous besoin de preuves ? Nous venons de l'entendre de sa propre bouche.

   En même temps ils prodiguaient les termes de mépris à Jésus, ce misérable, ce vagabond, ce mendiant de basse extraction qui voulait être leur Messie et s'asseoir à la droite de Dieu. Ils ordonnèrent aux archers de le lier de nouveau, et lui firent mettre une chaîne autour du cou, ainsi qu'on le faisait aux condamnés à mort, afin de le conduire à Pilate. Ils avaient déjà envoyé un messager à celui ci pour le prier de se tenir prêt à juger un criminel, parce qu'ils devaient se hâter à cause de leur fête. Ils parlaient entre eux avec dépit de ce qu'il leur fallait aller d'abord vers le gouverneur romain ; car, quand il s'agissait de quelque chose de plus que de leurs lois religieuses et de la police du Temple, ils ne pouvaient rendre exécutoire une sentence de mort sans son concours. Or, pour donner à la condamnation de Jésus une plus grande apparence de justice, ils voulaient le faire juger aussi comme coupable envers l'empereur, et c'est sous ce rapport que la chose était principalement du ressort de Pilate. Les soldats étaient déjà rangés devant la maison ; il y avait en outre beaucoup d'ennemis de Jésus et de populace. Les Princes des prêtres et une partie du conseil allaient en avant, puis venait le Sauveur mené par les archers et entouré de soldats ; la populace fermait la marche. C'est dans cet ordre qu'ils descendirent de Sion dans la partie inférieure de la ville, se dirigeant vers le palais de Pilate. Une partie des prêtres qui avaient assisté au conseil se rendit au Temple, où ils avaient à s'occuper des cérémonies du jour.

 

 

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