Marie d'Agréda, visions sur
Confidente et Messagère de
COMMENCEMENT DE LA PASSION JUSQU'AU PRÉTOIRE DE CAÏPHE.
A
l'entrée de la nuit qui suivit le jeudi de la cène, le doux Jésus résolut de
commencer sa douloureuse passion. Il sortit donc de la salle où il avait
célébré de si grands mystères et parla longuement aux disciples. Il rencontra
aussi sa sainte mère, qui était sortie en même temps de sa retraite, il la
regarda d'un air joyeux, et lui dit ces seules paroles; ma mère, je serai avec
vous dans vos tribulations, accomplissons la volonté du Père éternel et le
salut du monde, ensuite il lui donna sa bénédiction et la quitta.
Elle
se retira de nouveau dans la chambre de la maison du cénacle, parce que le
maître se trouvant présent à cette douloureuse séparation, lui avait offert,
par l'inspiration divine, la maison et tout ce qu'elle renfermait, pour tout le
temps qu'elle resterait à Jérusalem. La sainte Vierge se retira livrée à une
douleur que chaque chrétien peut s'imaginer, mais elle ne cessa point d'être
présente en esprit à tout ce qui se fit dans cette cruelle nuit. Elle vit
lorsque Judas alla vers les prêtres et les pharisiens, et l'apparition du démon
en forme visible, pour le détourner de vendre son divin maître. Elle vit Jésus
se retirer au jardin de Gethsémani et découvrit sa profonde tristesse; elle
connut que toutes les angoisses qu'il eut jusqu'à éprouver des sueurs de sang,
provenaient de ce qu'il voyait que toutes ses souffrances seraient non
seulement sans fruit pour les méchants, mais seraient encore par leur malice la
cause d'un plus grand châtiment; c'est pourquoi il priait son Père d'éloigner
de lui cette amertume sous le nom de calice. Elle connut encore qu'après la
prière de Jésus-Christ, le Père éternel envoya l'archange saint Michel pour lui
dire de se consoler dans ses peines, car parmi ceux qu'il sauverait par son
sang divin, serait Marie sa mère, digne fruit de sa rédemption.
Elle
vit que trouvant ses disciples endormis, avant de les éveiller, il s'arrêta un
peu à les regarder avec compassion et pleura sur leur négligence et leur
tiédeur. Non seulement elle vit ceci et tout ce qui arriva au jardin en détail,
mais elle considéra autant qu'il fut possible, chaque action que faisait son
divin fils dans sa passion. Elle se retira avec les saintes femmes, lorsque
Jésus se retira avec ses trois disciples, elle pria aussi comme Jésus avait
prié le Père éternel d'éloigner et de suspendre toute consolation qui pourrait
l'empêcher de souffrir avec son fils; et elle demanda que son corps put
partager toutes les souffrances qu'il endurerait lui-même. Elle éprouva aussi
une profonde tristesse, elle fit la même prière que Jésus fit pour les
pécheurs, elle entra en agonie et eut aussi une sueur de sang, l'archange
Gabriel fut également envoyé pour la fortifier, comme saint Michel l'avait été
pour Jésus. Lorsqu'elle se retira pour prier, elle prit avec elle les trois
Maries, laissant les autres femmes et elle alla aussi les visiter au moment où Jésus
visita les apôtres, et les exhorta à être vigilantes contre le démon. Lorsque
Jésus dit à ses apôtres : tristis et anima mea usque ad mortem , elle
dit aussi aux trois Maries; mon âme est triste, parce que mon fils bien-aimé et
mon Seigneur doit souffrir et mourir et que je ne dois pas mourir avec lui.
Priez, mes amies, afin de ne pas entrer en tentation.
Au
milieu de ces tourments, la sainte Vierge non seulement eut toujours un coeur
magnanime, mais encore elle songea au moyen de pouvoir soulager son divin fils,
et elle envoya un de ses anges pour essuyer avec des linges qu'elle lui donna
le visage de son Dieu agonisant. Lorsque les soldats partirent avec Judas pour
arrêter Jésus, la très sage reine, prévoyant les outrages, les injures et les
mauvais traitements, que ces méchants lui feraient souffrir, invita aussitôt
les saints anges afin de compenser avec elle par leurs louanges et leurs
adorations tous les affronts qu'ils lui faisaient. Ainsi pour les offenses
outrageantes qu'il recevait de ces méchants et pour le baiser que Judas lui
donna comme signal pour le trahir, elle offrait à proportion des actes de
vénération et de louanges à sa divine majesté et retenait ainsi l'indignation
de Dieu, afin qu'il n'engloutît pas ces misérables. Elle pria surtout pour
Judas, et à sa considération Dieu envoya à son coeur de fortes et nombreuses
inspirations et de grandes grâces afin qu'il rentrât en lui-même. Lorsqu'elle
vit que par la vertu de ces puissantes paroles dites à cette troupe maudite : Ego
sum, ils étaient tous tombés à terre avec les chevaux, et que les démons
étaient abattus et restaient renversés pendant un demi quart d'heure, elle
chanta des cantiques de louanges et de victoire au Très-Haut. Il est vrai que
par pitié pour ces malheureux, elle pria le Seigneur de leur laisser la vie et
de les faire lever.
Le Seigneur leur accorda donc le pouvoir d'exercer contre lui toute leur
rage, il leur demanda de nouveau : Qui cherchez-vous? Ils répondirent, Jésus de
Nazareth, il leur dit: C'est moi; et ils se jetèrent sur lui comme des chiens
enragés et des bêtes féroces. Lorsque Jésus fut lié, elle ressentit aussi les
douleurs des chaînes et des cordes comme si elle eût été liée en effet. Elle
éprouva la même chose pour les coups, les mauvais traitements, les soufflets
que souffrit le Sauveur, dans son arrestation, et lorsqu'on déchira ses habits
et qu'on lui arracha les cheveux. A la fuite des apôtres elle ne s'indigna pas
contre eux, mais elle les recommanda instamment au Seigneur, et quoiqu'elle fut
affligée de les voir .chancelants dans leur foi, néanmoins elle pria pour eux,
et elle offrit au Seigneur tous les devoirs et toute la vénération de l'église
entière résumée en elle. Tandis que Jésus accablé de coups était au pouvoir de
ses ennemis, la sainte Vierge était dans le Cénacle, Judas croyant par la
suggestion de Lucifer son pardon impossible, et tourmenté par l'appréhension du
déshonneur qu'il aurait dans le monde pour avoir trahi son maître, fut
tellement agité qu'il entra en fureur contre lui-même; il se retira à l'écart
et voulut se précipiter d'une des fenêtres les plus élevées du palais du
Pontife, mais il en fut empêché. Il sortit de cette maison poussant des cris
comme une bête féroce, se mordant les poings, s'arrachant les cheveux et se donnant
mille malédictions. Lucifer le voyant en cet état, lui persuada de rendre
l'argent aux prêtres, il voulait ainsi empêcher la mort de Jésus-Christ qu'il
soupçonnait toujours davantage d'être le Messie à la vue de sa douceur au
milieu des outrages. Mais n'ayant pu encore réussir dans son dessein Lucifer
augmenta le désespoir de Judas et lui persuada qu'il valait mieux de délivrer
en un instant de tant de peines et d'ignominie. Le malheureux apostât y
consentit, et sortant de la ville, homicide de lui-même, il se pendit à un
arbre. Cette mort affreuse arriva le jour même du vendredi quelques heures
avant que Jésus n'expirât. Son corps, resta trois jours suspendu à l'arbre avec
les entrailles crevées et quoique les juifs cherchassent plusieurs fois à l'enlever
pour l'ensevelir, parce qu'il revenait de cette mort une grande gloire au
Sauveur, ils ne purent jamais le faire. Enfin, après trois jours les démons par
la permission de Dieu, enlevèrent le cadavre maudit de l'arbre et le
transportèrent en enfer où ils avaient conduit son âme.
La troupe des soldats envoyée pour arrêter
le Seigneur, afin de l'amener en sûreté, car ils le prenaient pour un magicien
à cause de ses miracles et pensaient qu'il pourrait s'échapper de leurs mains,
le lièrent étroitement aux flancs, aux bras, et au cou de deux longues et
grosses cordes et d'une pesante, longue et forte chaîne qui avait servi de
levier pour fermer et ouvrir une porte de prison et aux extrémités de laquelle
ils avaient attaché des menottes de fer, dont ils lui attachèrent les mains
derrière le dos. L'ayant lié de cette cruelle manière ils partirent du mont des
oliviers avec un grand tumulte, les uns tirant les cordes par devant et les
autres par derrière ils le faisaient tomber à terre, ils exhalaient leur rage
contre lui par des coups de pied aux cotés, des coups de poing au visage et à
la tête, ils lui déchirèrent les habits, et lui arrachèrent la barbe, ils le
tramèrent par les cheveux, et lui enfoncèrent la pointe de leurs bâtons dans
les côtés; ils lui donnèrent des coups sur les épaules, et le traînèrent tantôt
d'un côté tantôt de l'autre du chemin. Le Seigneur tomba plusieurs fois le
visage contre terre avec une grande douleur, car ayant les mains liées derrière
le dos il se meurtrissait le divin visage et se couvrait de plaies, et ne
pouvant plus se relever, les coups et les mauvais traitements de toute sorte
qu'il recevait étaient innombrables, jusqu'à lui marcher dessus, et comme un
doux agneau, il supportait ces affreuses cruautés avec une patience admirable.
Lucifer était en fureur à la vue de cette
résignation et pour en triompher il voulut lui-même prendre les cordes pour le
traîner avec une plus grande violence; mais la sainte Vierge, qui voyait tout
ceci en esprit, et qui ressentait dans son corps très pur tous les mauvais
traitements, arrêta Lucifer dans son exécrable dessein, et lui enleva les
forces afin qu'il ne pût l'exécuter. Ils arrivèrent dans la ville en poussant
des cris, des sifflements, des hurlements, comme si on avait arrêté un chef de
brigands. Les personnes se mettaient à la fenêtre et à la porte avec des
flambeaux, ils l'injuriaient et l'insultaient l'appelant faux prophète,
magicien, pervers, méchant et scélérat : et cum iniquis reputatus est.
Ils le conduisirent au tribunal d'Anne, pontife, qui le reçut assis sur son
siège, Lucifer se plaça à ses côtés, environné d'une multitude innombrable de
démons appliqués à irriter ce juge contre Jésus-Christ, afin d'éprouver sa
divine patience. Le Sauveur, reçut alors ce cruel soufflet de la main gantée de
fer d'un des serviteurs auquel il avait guéri miraculeusement l'oreille au
jardin de Gethsémani. Le Seigneur, lui fit cette réponse célèbre en recevant le
soufflet: si male locutus sum: testimonium perhibe de malo, qui couvrit
ce méchant de confusion, mais ne l'amenda pas. Le coup fut si sanglant qu'il
lui enfonça toutes les dents et lui fit couler le sang de la bouche, du nez et
des yeux; dans le même instant la mère de Dieu ressentit dans son visage ce
coup terrible qui lui fit verser des larmes de sang.
En ce moment Jean et Pierre arrivèrent à
la maison d'Anne. Après y être entrés Pierre s'approcha du feu dans le
vestibule, et la portière l'ayant vu lui demanda s'il était disciple du
Nazaréen. Elle fit cette demande avec moquerie et mépris, c'est pourquoi Pierre
en éprouva de la honte, et saisi de crainte et de lâcheté, il nia qu'il le fut.
Après ce reniement il sortit de la maison d'Anne, mais il suivit ensuite le
Seigneur dans la maison de Caïphe où il fut amené avec de grandes railleries.
Il fut reçu avec des rires, des insultes et de grandes moqueries, pour lui il
priait le Père éternel pour eux, et la divine mère priait avec lui. Caïphe
était assis sur son siége magnifique entouré des scribes et des pharisiens
assistés de Lucifer, qui désirait toujours mieux s'assurer si Jésus était le
Messie, il inspira donc à Caïphe de lui dire: Je t'adjure au nom de Dieu
vivant de nous dire ouvertement si tu es
le Christ fils de Dieu. A la réponse pleine de douceur de Jésus-Christ,
Lucifer fut si tourmenté que ne pouvant le supporter, il se précipita au fond
de l'abîme. Il en sortit par la permission de Dieu, mais incertain si le Christ
avait ainsi parlé pour se délivrer des mains des ses ennemis. Revenu de nouveau
dans la salle, il excita les ministres à lui donner des soufflets, des coups de
poing, à lui arracher les cheveux, à lui cracher au visage et à le fouler aux
pieds. Les anges qui l'adoraient et le louaient étaient confondus des jugements
incompréhensibles de la divine sagesse, en voyant que sa divine Majesté
consentait à être présentée comme coupable et que le prêtre inique se montrait
comme juste et zélé pour l'honneur de Dieu, à qui il prétendait ôter
sacrilègement la vie; et l'innocent agneau gardait le silence sans ouvrir la
bouche. Dans cette maison, on banda les yeux au Seigneur pal-ce qu'il
apparaissait sur son visage une douceur et une splendeur qui causaient une
grande peine et confusion à ses ennemis. Ils attribuèrent tout cela à l'art
magique, et ils lui couvrirent le visage avec de sales haillons, et lui firent
de mauvais traitements et des insultes indicibles,
Il fut facile à saint Pierre, au milieu de
la foule des personnes qui entraient dans la maison de Caïphe, de s'introduire
aussi à la faveur de l'obscurité de la nuit. Nais une servante le vit dans la
cour et se tournant vers les soldats qui étaient auprès du feu: cet homme,
dit-elle, est un de ceux qui allaient dans la compagnie de Jésus de Nazareth;
et un de ceux qui étaient là, ajouta: en vérité, tu es réellement Galiléen et
un de ceux qui suivaient Jésus. Saint Pierre le nia et jura qu'il n'était pas
disciple de Jésus et il quitta le feu et la cour. Mais il ne pouvait pas
s'éloigner de la vue de son divin maître, retenu par la compassion pour ses
souffrances, il tournoya donc pendant une heure environ, un parent de Malchus
le vit et le reconnut; tu es Galiléen lui dit-il, et disciple de Jésus, je t'ai
vu avec lui dans le jardin, et de nouveau Pierre jura qu'il ne le connaissait
pas, et alors le coq chanta pour la seconde fois, et la prophétie de
Jésus-Christ fut accomplie, qu'il le renierait trois fois cette nuit avant que
le coq chantât deux fois. Ayant entendu le chant du coq, Pierre se souvint des
paroles de Jésus, qui en ce moment, le regarda avec sa grande miséricorde, il
sortit aussitôt en versant des larmes, et se retira dans une grotte appelée
encore galligante: Chant du coq, il y pleura amèrement pendant trois
heures, il rentra en grâce et obtint son pardon par le moyen de la sainte
Vierge. Elle avait vu sa faute de sa retraite et aussitôt elle pria pour lui
avec larmes et prosternée à terre; elle lui envoya même un de ses anges pour le
consoler, non pas d'une manière visible parce que son péché était trop récent,
mais à l'intérieur, sans que Pierre le vit.
Après minuit, ceux du conseil arrêtèrent
que tandis qu'ils dormiraient, Jésus-Christ resterait ainsi lié dans un lieu
souterrain de la maison, qui servait de prison pour les plus grands voleurs et
scélérats. Cette prison était si obscure que la lumière y pénétrait à peine, et
si sale et puante qu'elle était insupportable pour tous. Ils enfermèrent là le
fils de Dieu, le traînant attaché avec les chaînes et les cordes dont ils
l'avaient lié au jardin des olives. Il y avait dans un coin de la prison une
pierre ou une pointe de rocher, à laquelle ils attachèrent le Seigneur de telle
sorte qu'il ne pouvait ni se remuer ni s'asseoir, et l'ayant ainsi lié ils
sortirent de ce lieu fétide, en fermèrent la porte et y laissèrent l'un d'eux
de garde au-dehors. Les saintes anges entrèrent pour vénérer le Sauveur, et lui
demandèrent de vouloir bien leur permettre de le délier, mais le doux Jésus ne
le permit pas, pour souffrir davantage, et il les envoya consoler sa mère
affligée. Après que ces méchants et ces ivrognes eurent soupé, excités par le
démon, ils allèrent le détacher du rocher et le mirent au milieu de la prison,
ils voulurent le contraindre à parler et à faire quelque miracle, mais Jésus,
la sagesse incarnée, ne répondant rien, ils l'accablèrent de coups et de
soufflets, et leur rage croissant ils lui bandèrent de nouveau les yeux, avec
un dégoûtant chiffon, et le frappèrent avec violence sur le cou et au visage,
en lui disant, devine qui t'a frappé. Lucifer irrité de sa patience inspira à
ces cruels ivrognes de le mettre entièrement nu et de lui faire de plus grands
outrages. Mais la très-pure Vierge qui voyait et contemplait tout empêcha cet
odieux outrage, elle pria avec instance le Seigneur de ne pas permettre cette
ignominie et sa prière fut exaucée. lIs l'attachèrent donc de nouveau au rocher
et sortirent de la prison, les anges entrèrent pour compatir à ses douleurs et
l'adorer ; en ce temps là il priait le Père éternel pour ceux qui l'avaient
ainsi maltraité.
A l'aurore, les princes des prêtres et les
scribes s'assemblèrent et le divin agneau fut amené devant eux. C'était un
spectacle digne de piété de voir le divin Jésus défiguré, le visage meurtri et
couvert de dégoûtants crachats, qu'il n'avait pu enlever ayant les mains liées
derrière le dos. En le voyant dans cet état ses ennemis mêmes furent effrayés. Ils
lui demandèrent de nouveau à dessein s'il était fils de Dieu, et ayant entendu
qu'il l'était, ils le jugèrent digne de mort, et ils résolurent de l'envoyer à
Pilate proconsul de l'empereur romain à qui étaient réservées les causes
capitales. Le soleil était déjà levé, et la mère affligée résolut de sortir de
sa retraite pour suivre son fils si cruellement traité. Lorsqu'elle sortait de
la maison avec les Marie et Magdeleine, saint Jean arriva pour l'informer de
tout ce qui était arrivé, ne sachant pas qu'elle avait vu tout en esprit. Il
demanda d'abord pardon de la lâcheté qu'il avait eue de s'enfuir, et se mit à
raconter tout ce qui était arrivé jusqu'alors, l'humble reine n'interrompit
point son récit, et écouta tout avec une extrême souffrance. Après qu'il eut
fini de parler, ils versèrent tous des larmes, et ils se mirent en marche.
La sainte Vierge entendit les divers
entretiens de la foule, dans les rues, sur son fils bien-aimé, elle ne s'arrêta
jamais, et ne s'indigna point contre ceux qui en parlaient mal, mais elle pria
pour eux. Un grand nombre de personnes la reconnurent à son manteau noir et à
son cordon pour la mère de Jésus, quelque uns étaient naturellement touchés de
compassion pour elle, et d'autres l'injuriaient à cause de la mauvaise éducation
donnée à son fils. Mais voilà qu'ils aperçoivent un grand tumulte, et qu'ils
entendent un grand bruit, et tout à coup elle voit au milieu de cette canaille
son divin fils, elle se jeta à terre et l'adora profondément. Ils se jetèrent
l'un à l'autre un douloureux regard qui pénétra leurs coeurs d'une douleur
inexprimable, ils se parlèrent seulement dans l'intérieur de leur âme. On le
traînait vers Pilate, et la mère affligée versant des larmes le suivait avec
les saintes femmes en disant : mon fils, mon bien-aimé fils. Ils
arrivèrent enfin en présence de Pilate qui quoique païen eut égard aux lois cérémonielles
des juifs, qui leur défendaient d'entrer dans le prétoire, il sortit donc pour
interroger le prétendu coupable. La mère affligée était toujours présente avec
saint Jean et les saintes femmes, les anges les avaient amenés dans un lieu
d'où elles pouvaient voir tout et entendre ce qui se disait. La sainte Vierge
couverte de son manteau noir versait des larmes de sang par la violence de sa
douleur; elle ressentait en elle-même toutes les souffrances que souffrait son
divin fils. Elle pria le Père éternel afin que Pilate connut clairement
l'innocence de Jésus, il la connut en effet, mais il ne correspondit pas à la
grâce qu'il avait reçue par le moyen de la mère de miséricorde. Il s'efforça
néanmoins de ne pas condamner un innocent, en l'envoyant à Hérode, fils de cet
Hérode qui avait fait massacrer les saints innocents qui était venu à la fête
des azymes, lorsqu'il apprit que Jésus était né dans son royaume. A cette
occasion ils oublièrent même quelques différends, et devinrent amis.
Il est impossible de dire les souffrances
et les douleurs que souffrit Jésus dans ce trajet de Pilate à Hérode, de la
part de ces bourreaux excités par Lucifer, qui voulait s'assurer toujours
davantage par la grandeur de la patience de Jésus, s'il était le Messie. Sa
mère affligée, suivit derrière la masse de la populace, toute occupée de son
divin fils. La grande reine n'entra pas dans la maison d'Hérode, mais elle vit
tout ce qui s'y fit, et entendit toutes les demandes d'Hérode. Lorsqu'il en
sortit revêtu de l'habit des insensés, elle comprit toute la grandeur de cette
injure et l'adora profondément comme la sagesse infinie. Elle le suivit avec la
même constance, lorsqu'il fut ramené chez Pilate; plusieurs fois à cause de la
foule, et par la violence avec laquelle on le traînait, embarrassé par sa
longue tunique, Jésus tomba par terre; en tombant les veines s'ouvrirent par la
manière dont ils le traînaient cruellement, et aussi par les coups et les
mauvais traitements' qu'il recevait, ne pouvant se relever, parce qu'il avait
les mains enchaînées et attachées derrière le dos. Alors la prudente et tendre
mère ordonna aux saints anges, non seulement de recueillir ces gouttes de sang très
précieux, qui tombaient à terre, afin qu'elles ne fussent pas profanées et
foulées aux pieds, mais elle leur commanda aussi de soutenir leur Créateur, lorsqu'il
serait exposé à tomber. Mais elle ne
voulut pas donner cet ordre aux anges avant d'en avoir obtenu la permission du
Seigneur, qu'elle pria de condescendre en cela, aux humbles prières de sa mère
affligée.
Jésus fut ramené devant Pilate, qui voyant
son innocence, et l'envie et la haine des juifs, essaya de le délivrer. Il
parla seul avec Jésus, il dit aussi en secret à quelques-uns des chefs de la
synagogue, qu'il y avait dans la prison un scélérat infâme, condamné par le
peuple, qu'ils devaient donc demander qu'on délivrât le Nazaréen et non
Barrabas, c'était le nom de l'homicide et du meurtrier. Cette coutume de
délivrer un criminel à la fête de Pâques avait été introduite chez les Juifs,
en souvenir de la délivrance d'Egypte. La mère affligée était présente dans la
maison de Pilate, à tout ce qu'il fit pour délivrer son fils. Elle vit aussi
l'ambassade de la femme de Pilate nommé Procule à son mari et elle vit que c'était
une suggestion de Lucifer pour empêcher la rédemption. La divine Marie était de
toute part transpercée d'un glaive de douleur, mais elle le fut plus
cruellement lorsqu'elle entendit que Barrabas était préféré à son divin fils.
Le moyen tenté par Pilate pour délivrer le
Seigneur, n'ayant pas réussi, il pensa à un moyen d'habilité toute humaine, ce
fut de le faire flageller pour apaiser ainsi la haine des juifs, et comme
suffisamment châtié ensuite de le délivrer. Mais il jugea contre toute justice,
car il avait bien reconnu l'innocence de Jésus. Pour exécuter cette
flagellation, on choisit six jeunes hommes robustes des plus inhumains et des
plus barbares. Ils l'amenèrent dans une cour, où était une colonne, et lui
enlevèrent les cordes, les chaînes et les menottes, ils lui ôtèrent d'abord le
manteau blanc, ensuite ils le dépouillèrent de sa robe sans couture et son
corps fut tout nu, excepté une espèce de caleçon, qu'ils voulaient même lui
ôter, mais la grande reine l'empêcha, en priant le Père éternel de ne pas le
permettre. La flagellation commença sous les yeux de la mère affligée, ils le
lièrent si étroitement à la colonne avec des petites cordes, qu'elles lui entrèrent
dans la chair et que ses divines mains se gonflèrent. Ensuite ils se mirent à
le flageller deux à deux, les uns après les autres, avec une cruauté si inouïe
que la férocité humaine n'en était pas capable, si Lucifer lui-même ne se fut
comme incorporé dans le coeur de ses bourreaux impitoyables. Les deux premiers
flagellèrent l'innocent Jésus avec des cordes tordues, dures et grosses en y
employant toute la fureur de la rage et toutes leurs forces. Ces premiers coups
de fouets firent sur son corps divin si délicat de grandes et livides
meurtrissures, il se fendit de toutes par en se gonflant, et le sang était sur
le point de couler à travers les blessures. Les deux premiers bourreaux étant
épuisés de fatigue, les deux seconds se mirent à leur place, ils le frappèrent
avec des courroies de cuir très dures sur les premières blessures et firent
crever les meurtrissures livides et gonflées qu'avaient fait les premiers, de
sorte que le sang divin en sortit, et non seulement il couvrit le corps sacré d
Jésus-Christ, mais encore il baigna les vêtements des sacrilèges bourreaux et
découla jusqu'à terre, ces seconds étant hors d'haleine, les troisièmes les
remplacèrent et se servirent de nouveaux instruments qui étaient des nerfs
d'animaux très durs, semblables à des verges sèches. Ils flagellèrent le
Sauveur avec une cruauté plus grande encore, parce qu'ils frappaient sur les
blessures faites par les deux premiers et les seconds; mais comme les veines de
son corps divin avaient déjà été rompues et qu'il n'était plus qu'une seule
plaie, ces troisièmes bourreaux ne pouvaient plus faire de nouvelles plaies
dans aucune partie du corps, c'est pourquoi en redoublant leurs, coups
terribles ils arrachèrent la chaire divine et immaculée, de sorte qu'il en
tomba des morceaux à terre et les os furent mis à découvert en diverses parties des épaules. Pour satisfaire encore mieux leur
férocité inouïe ils le flagellèrent au visage, aux jambes, aux pieds et aux
mains, sans épargner une seule partie. Le sang divin se répandit à flots sur la
terre. Son divin visage et tout meurtri, déchiré et si couvert de sang et
d'horribles crachats qu'on ne pouvait plus le reconnaître. De même la mère des
douleurs, dans un coin de la cour, avec la sainte suite qui l'accompagnait dans
ses douleurs, ressentait dans son âme et dans son corps virginal tous les coups
mot tels qu'endurait son divin fils, et elle fut si affligée que saint Jean et
les Maries ne reconnaissaient plus les traits de son visage, parce que sa
douleur et ses souffrances étaient sans mesure, à cause de sa grande foi et la
parfaite connaissance qu'elle avait de l'incomparable dignité de son divin
fils. Elle seule sut apprécier, mieux que toutes les créatures, l'innocence de
Jésus-Christ, la dignité de sa divine personne, l'énormité des injures qu'il
recevait et les tourments indicibles qu'il supportait.
Cependant dans le désir de le voir mourir
sur la croix, ils le délièrent et il tomba par terre baigné dans son sang. Ils
lui ordonnèrent de se vêtir, un de ces méchants lui avait caché sa tunique sans
couture, et le voyant ainsi nu et couvert seulement de plaies et de sang, ils
l'injurièrent et le couvrirent de railleries. En ce temps, ils allèrent dire à
Pilate que prétendant devenir roi des juifs, il était juste de le couronner
d'épines. Ayant obtenu cette injuste permission de Pilate, ils lui mirent sur
les épaules des haillons de pourpre et un roseau à la main en guise de sceptre,
et enfin ils enfoncèrent violemment sur sa tête divine une couronne d'épines
pour servir de diadème. Elle était composée de joncs marins, très épineux, avec
des pointes fines et dures et ils la lui placèrent de manière que les épines en
grand nombre pénétrèrent les os de la tête, d'autres arrivèrent jusqu'aux
oreilles et d'autres encore jusqu'aux yeux. Après cette douloureuse et cruelle
ignominie, ils adorèrent comme un roi de théâtre, celui qui par nature et à
toute sorte de titres, était le véritable roi des rois et le Seigneur des
seigneurs. Tous les soldats de la cohorte se rassemblèrent aussitôt en présence
des prêtres et des pharisiens et ayant mis au milieu d'eux l'aimable Jésus, ils
le chargèrent de blasphèmes avec des railleries indicibles, les uns se
mettaient à genoux devant lui et lui disaient par moquerie Je vous salue roi
des juifs.
D'autres lui donnaient de sanglants
soufflets, et d'autres lui frappaient la tête avec le roseau, quelques uns
couvraient son divin visage de dégoûtants crachats et tous l'accablaient
d'injures, et d'outrages de toutes sortes inspirés par le démon.
Pilate pensa que le coeur de ce peuple
ingrat et furieux, serait attendri à un spectacle si douloureux, c'est pourquoi
il le fit montrer au public d'une grande fenêtre, en disant Voilà l'homme;
qu'avez-Vous sujet de craindre qu'il se fasse roi, puisqu'il ne ressemble plus
à un homme et qu'on ne trouve rien en lui qui soit digne de mort, Mais le
peuple en fureur, cria : Crucifiez-le! Crucifiez-le! La mère des
douleurs en voyant son fils réduit à un semblable état, se mettant à genoux,
l'adora, et le reconnut pour vrai Dieu et vrai homme; saint Jean, les saintes
femmes et tous les anges qui assistaient la grande reine en firent autant. La
grande reine pria le Père éternel de faire connaître plus clairement à Pilate
l'innocence de Jésus, c'est pourquoi Pilate prit Jésus à part, et lui fit les
interrogations rapportées par les évangélistes, aussi il le montrait au peuple
en répétant que Jésus était innocent. Les juifs s'aperçurent du désir de Pilate
de délivrer Jésus, ils crièrent donc à Pilate, en faisant un grand bruit et en
le menaçant, s'il ne condamnait pas Jésus à mort, Pilate alors se troubla
beaucoup et vaincu parla crainte, il s'assit sur son tribunal vers l'heure de
midi, la veille de
JÉSUS MONTE AU CALVAIRE, SA MORT.
L'injuste sentence étant prononcée, ils
amenèrent Jésus de Nazareth un peu à l'écart, et le dépouillèrent des
ignominieux haillons de pourpre pour le revêtir de ses propres habits, avec la
couronne d'épines, afin qu'on le reconnût. La ville était remplie de monde, à
cause du concours d'étrangers venus à la grande fête de Pâques, ils accoururent
donc tous pour voir ce qui se passait et ils remplirent les rues jusqu'au
palais de Pilate. Jésus apparut au milieu de tout ce peuple, à la vue d'un si
pitoyable spectacle, il s'éleva un bruit comme un murmure confus, ou l'on ne
distinguait que la joie insolente et les injures des princes des prêtres et des
pharisiens. Le reste de la multitude était divisé en sentiments et en opinions
diverses et tout était plein de confusion suivant les pensées de chacun. Il y
en avait dans la foule plusieurs qui avaient été guéris par les miracles de
Jésus, d'autres qui avaient entendu sa doctrine et l'avaient embrassée, et ils
le plaignaient amèrement, d'autres gardaient le silence, on ne voyait donc que
confusion. Des onze apôtres, saint Jean seulement était présent, lorsqu'il vit
son bien-aimé Seigneur et son maître, amené publiquement pour être crucifié,
son coeur fut transpercé d'une si cruelle douleur qu'il perdit connaissance et
resta sans mouvement et sans pouls comme s'il eût été privé de vie, et les
autres Maries eurent aussi une défaillance semblable à la mort. La reine des
vertus fut invincible et conserva toujours un coeur magnanime dans sa plus
grande douleur, elle ne s'évanouit jamais et n'eut aucune défaillance comme les
autres. Elle fut en tout forte, admirable et prudente dans toutes ses actions
extérieures, elle agit avec tant de sagesse que sans faire entendre aucune
plainte ni pousser aucun cri elle ranima les Maries et saint Jean et elle pria,
le Seigneur de les fortifier, par sa divine vertu, et par l'efficacité de ses
saintes prières, ils reprirent de nouvelles forces. Au milieu de cette
confusion et dans son immense douleur, elle ne fit jamais une action ni un
mouvement où ne respirât la modestie, mais avec la sérénité d'une reine elle
répandait des larmes continuelles, et était attentive au divin Jésus, elle
priait le Père, éternel, lui offrait les souffrances et la passion de son fils
et elle imitait les actes intérieurs que faisait le sauveur. Elle considérait
la grande malice du péché, pénétrait les mystères de la rédemption et invitait
les anges à louer et à adorer le Très-Haut, elle priait aussi pour les amis,
pour les ennemis. Son amour s'élevait à son plus haut degré et elle éprouvait
une douleur qui correspondait à son amour, c'est pourquoi elle pratiquait en
mène temps toutes les vertus à la grande admiration des esprits célestes et
l'extrême complaisance de la très sainte Trinité.
En présence d'une foule immense, les
bourreaux présentèrent la croix à Jésus et la mirent sur ses délicates épaules
toutes couvertes de plaies, et afin qu'il pût la porter ils lui délièrent les
mains, mais non le reste du corps. Ils lui mirent la chaîne autour du cou et
lui lièrent le corps avec de longues cordes, et avec une ils le tiraient par
devant et avec l'autre par derrière. La croix était d'un bois très pesant et
longue de quinze pieds. Le héraut avec une trompette marcha au-devant pour lire
la sentence, et toute cette multitude de peuple confuse et bruyante, les
bourreaux et les soldats, se mirent en mouvement avec des railleries, des
rires, des cris et un grand bruit, dans un désordre effroyable, pour aller à
travers les rues de Jérusalem, du palais de Pilate au mont du Calvaire. Notre
Seigneur commença le douloureux voyage au milieu de mille injures, plusieurs
fois il tomba par terre parce que les uns le tiraient par-devant et les autres
par-derrière, et aussi à cause de la charge pesante de la croix. Dans ses
diverses chutes à terre le rédempteur se fit de nouvelles et nombreuses plaies
qui lui causèrent une immense douleur, mais surtout celles des deux genoux. Le
poids si lourd de la croix lui fit encore une grande plaie à l'épaule sur
laquelle elle s'appuyait, et en le secouant et en le tirant avec violence il
heurtait fréquemment la tête contre la croix et chaque coup faisait pénétrer
plus profondément les épines dans le crâne, ce qui faisait éprouver une
insupportable et nouvelle douleur au rédempteur.
Toute la foi, la science et l'amour se trouvaient
pour ainsi dire renfermés en ce triste moment dans le grand coeur de la divine
mère, c'est pourquoi elle seule avait une véritable connaissance et faisait une
appréciation juste et digne des grandes souffrances et de la mort d'un Dieu
fait homme pour les hommes, Sans jamais cesser de prêter l'attention nécessaire
à ce qu'il fallait faire extérieurement, elle contemplait et pénétrait avec sa
sagesse profonde tous les mystères de la rédemption du monde et la manière dont
elle s'accomplissait, par l'ignorance des hommes qui étaient rachetés, Elle
appréciait d'une manière digne, quel était celui qui souffrait, ce qu'il
souffrait, de qui et pour qui il souffrait, de sorte qu'elle eut après son
divin fils la science la plus sublime de la dignité, de la personne de
Jésus-Christ, en qui se trouvait réunies les deux natures divine et humaine,
ainsi que des perfections et des attributs de chacune d'elle. Elle seule entre
les pures créatures parvint à apprécier et à estimer la sainte passion et
l'ignominieuse mort de son Dieu fait homme; et non seulement la douce colombe
vit comme témoin oculaire de tout ce qu'il souffrit, mais encore elle le connut
par sa propre expérience dans son coeur très pur. Il arrivait quelquefois que
la mère des douleurs ne voyait pas souffrir son fils bien-aimé dans quelque rue
qui conduisait au Calvaire, mais elle ressentait dans son corps virginal et
dans son esprit tous les tourments de son fils, et elle s'écriait: Ah! mon
fils, quel martyre souffre mon fils. Elle fut si admirable dans sa constance à
souffrir avec son divin fils, qu'elle en fit son unique modèle et jamais
l'amoureuse mère ne se permit aucune sorte de soulagement pendant toute la
cruelle passion, non seulement clans son corps car dans ce temps elle ne reposa
point, ne dormit ne mangea ni ne but, mais même dans son esprit, suspendant
toutes les considérations qui pouvaient adoucir ses douleurs, excepté lorsque
le Très-Haut lui communiquait une influence divine pour lui conserver la vie.
Le
Très-Haut opéra un autre mystère secret contre Lucifer par le moyen de sa
divine mère. Le dragon infernal et ses ministres considéraient avec attention
tout ce qui se passait dans la passion, et ils ne pouvaient encore s'assurer de
la vérité, mais lorsque le Seigneur reçut la croix, ces ennemis insensés
sentirent min nouvel accablement dans leurs, forces, et ne comprenant la cause
de cette oppression, ils en furent étonnés, et ils furent saisis d'une
tristesse mêlée de rage. Lorsque le prince des ténèbres éprouva ces effets tout
nouveaux, il jugea que la passion et la mort de Jésus- Christ le menaçaient
d'une ruine irréparable et que son empire allait être détruit. Pour ne pas
attendre cet évènement en présence de Jésus-Christ, il résolut de s'enfuir avec
tous ses compagnons, et de se réfugier dans les cavernes infernales. Mais
tandis qu'il formait ce dessein, il fut retenu par le pouvoir de notre grande
reine, car le Très-Haut en ce moment l'éclaira de sa lumière et l'investit de
sa puissance, en lui faisant connaître ce qu'elle devait faire, Alors la divine
mère se tourna vers l'orgueilleux Lucifer et toutes ses légions, et les arrêta
avec un empire de reine afin qu'ils ne s'enfuissent pas; et leur ordonna
d'attendre la fin de toute la passion de son divin fils et d'être présents à ce
qui arriverait sur le mont de Calvaire. Les esprits rebelles ne purent résister
au commandement de la puissante reine, parce qu'ils reconnurent la vertu divine
qui opérait sur elle, c'est pourquoi dociles à ses ordres ils accompagnaient
Jésus. Christ comme vaincus et enchaînés jusqu'au Calvaire, où l'éternelle
sagesse avait résolu de triompher de l'enfer du trime de la croix.
Cependant les bourreaux traînaient notre
Sauveur avec une cruauté et des outrages incroyables, les uns le tiraient en
avant par les cordes pour le faire marcher plus vite, et les autres pour le
faire souffrir le tiraient en arrière afin d'augmenter ses peines. Ces
violences si cruelles et le poids si pesant de la croix le faisaient tomber à
terre, et dans la chute qu'il faisait en tombant sur les pierres il se faisait
des larges plaies. Il recevait de continuelles injures et de railleries, ils
jetaient sur sa divine face des crachats et de la boue, d'une si horrible
manière qu'ils lui couvraient les yeux, et un grand nombre de personnes se
voilaient la face de leurs mains parce qu'elles en étaient saisies de
confusion. La mère affligée voyait tout cela et adorait continuellement son
divin fils portant la divine croix, elle priait intérieurement avec humilité
que puisqu elle ne pouvait le soulager du poids si pesant de la croix, et qu'il
ne voulait pas permettre que les anges le fissent, comme elle le désirait dans
sa grande compassion envers lui, il daignât au moins par sa puissance, inspirer
à ces bourreaux de lui chercher quelqu'un pour l'aider à la porter. Le divin
fils exauça cette prière, c'est pourquoi il advint que le voyant épuisé et
craignant qu'il ne mourût avant qu'ils le crucifiassent, ils forcèrent Simon de
Cyrène à l'aider à porter la croix.
Il y avait parmi la foule qui suivait le
Seigneur, plusieurs femmes de Jérusalem, qui s'affligeaient et pleuraient
amèrement comme le raconte l'évangéliste. Le Seigneur se tourna vers elles, et
leur dit; filles de Jérusalem ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur vous et
sur vos enfants, et le reste comme il est rapporté par saint Luc. Le Cyrénien
prit la croix et suivit Jésus qui marchait entre deux voleurs, afin que tout le
monde crût qu'il était un malfaiteur et un scélérat comme les autres. La mère
affligée se trouvait très rapprochée de son divin fils, comme elle l'avait
désiré, quelle fut la grandeur, de la douleur et la peine extrême de cette
sainte mère, en voyant si près d'elle son fils bien-aimé si cruellement
maltraité, et qu'elle fut celle du fils, en voyant sa mère dans les douleurs de
la mort, il faut le laisser à ht pieuse considération des fidèles. Le nouvel
Isaac arriva au mont du sacrifice accablé de lassitude et épuisé, couvert dû
sang et de plaies, et si défiguré qu'il était impossible reconnaître. La divine
mère parvint aussi au Calvaire, et voyant que les bourreaux se disposaient à le
dépouiller, elle se mit à genoux et l'offrit au Père éternel pour le salut du
monde. Ensuite elle remarqua qu'on avait donné selon la coutume aux deux
larrons un vin généreux et aromatisé pour les fortifier, mais qu'ils voulaient
donner à son fils un breuvage de fiel, elle pria intérieurement le divin Jésus
de ne pas martyriser sa sainte bouche et de ne point le prendre, le divin fils
écouta cette amoureuse prière de sa mère, il goûta l'amère boisson, mais il ne
la but point. C'était déjà l'heure de la fête, c'est-à-dire midi, toutes les
douleurs du rédempteur lui furent renouvelées, ils lui arrachèrent de vive
force la robe sans couture qui était collée aux plaies; en la tirant par la tête
sans ôter la couronne d'épines, ils enlevèrent, par la violence qu'ils y mirent
cette couronne avec la tunique sans couture, renouvelant ainsi les blessures de
sa tête sacrée, avec une cruauté inouïe et une douleur incompréhensible. Ils
lui remirent de nouveau cette couronne avec violence, de sorte que la mère
affligée vît son divin fils qui n'était plus qu'une plaie, et si elle ne mourut
pas d'affliction et de douleur, ce fut par un miracle de la toute-puissance de
Dieu.
Tandis que les bourreaux se préparaient à
le crucifier, il pria le Père éternel pour le genre humain et pour ceux qui le
crucifiaient, et sa miséricordieuse mère unit sa prière à la sienne. Lorsque
les bourreaux firent les trous à la croix pour les clous, l'amoureuse mère put
alors s'approcher, elle prit son bras languissant et baisa sa divine Main, elle
l'adora avec une grande vénération, et l'agonisant Jésus fut un peu consolé et
fortifié de la beauté de cette grande âme. Ils le poussèrent violemment et le
firent tomber sur la croix, alors élevant les yeux au ciel, il étendit les bras
et mit sa main droite sur le trou, il s'offrit de nouveau au Père éternel,
alors avec une cruauté inouïe ils clouèrent cette main toute-puissante avec un
clou angulaire et très gros, qui brisa les veines et rompit les nerfs. Le bras
gauche ne put atteindre au trou, parce que les nerfs s'étaient retirés et parce
qu'ils l'avaient fait à dessein plus distant qu'il ne fallait, alors ils
prirent la chaîne qu'il avait portée à son cou, et mettant son poignet à la menotte
qui était à l'un des bouts, ils tirèrent le bras avec une cruauté inouïe et le
clouèrent, le sang se répandait en abondance avec une souffrance incroyable du
fils et de la mère qui était là présente. Ils passèrent ensuite aux pieds, et
les plaçant l'un sur l'autre, ils les lièrent avec la même chaîne, et tirant
avec une grande violence et cruauté, ils les clouèrent ensemble avec un
troisième clou un peu plus fort que les autres. Le sacré corps fut ainsi cloué
sur la divine croix, mais dans un tel état qu'on pouvait lui compter les os,
qui étaient entièrement disloqués et qui étaient sortis de leur place. Ceux de
la poitrine, des épaules et des cuisses furent déboîtés et entièrement déjoints
par la cruelle violence des bourreaux. Considérons ici maintenant le coeur si
accablé de la pauvre mère, et son corps virginal environné de douleurs de touts
parts. Ah! ma grande reine sans consolation.
Après que le Seigneur qui n'était plus
qu'une plaie eut été crucifié, afin que les clous ne se détachassent point et
que le corps divin ne tombât à terre, ces monstres de cruauté jugèrent bon de
les river par derrière. Ils commencèrent donc par élever la croix pour la
renverser sens dessus dessous, et appuyer ainsi contre la terre Jésus crucifié.
Cette nouvelle cruauté fit frémir tous les assistants, et il s'éleva un grand
bruit dans la foule touchée de compassion. La mère affligée recourut au Père
éternel pour cette inconcevable cruauté, afin qu'il ne permît qu'elle se fit
selon l'intention des bourreaux, et elle commanda aux anges de venir au secours
de leur créateur. Dès qu'ils eurent fini, ils élevèrent la croix et la firent
tomber dans le trou creusé à cet effet, mais ces monstres soutinrent le corps
avec leurs lances et lui firent de profondes blessures sous les bras, en
enfonçant le fer dans la chair pour aider à dresser la croix. A ce spectacle si
cruel, le peuple redoubla ses cris et le bruit et la confusion augmentèrent, de
sorte que le coeur de la pauvre mère était entièrement accablé de douleur. Les
juifs le blasphémaient, les dévots le pleuraient, les étrangers étaient
confondus d'étonnement, et quelques uns n'osaient pas le regarder par l'horreur
qu'ils en éprouvaient,, et le corps sacré répandait son sang en abondance par
les blessures qui avaient été faites et les plaies qui avaient été renouvelées.
Ils crucifièrent également les deux
voleurs, et ils dressèrent leurs croix l'une à droite l'autre à gauche, ils le
placèrent au milieu, afin qu'il fut considéré comme le chef et le plus grand
des scélérats. Les pontifes et les pharisiens branlaient la tête avec des
gestes de mépris, ils l'insultaient et lui jetaient de la poussière et des
pierres , en disant; toi qui détruis le temple de Dieu et le rebâtis en trois
jours, sauve- toi toi-même. Les deux voleurs l'injuriaient aussi et lui
disaient; si tu es le fils de Dieu, sauve-toi toi-même et nous aussi. Cependant
la sainte Vierge à genoux adorait son divin fils, elle pria le Père éternel de
faire éclater l'innocence de Jésus-Christ. Sa prière fut exaucée la terre
trembla, le soleil s'éclipsa, la lune s'obscurcit et les éléments furent dans
la confusion, les montagnes se, fendirent ainsi que le voile du temple, les
tombeaux s'ouvrirent et les bourreaux se retirèrent contrits, gémissants et
convertis, parce que Jésus en agonie, proféra ces paroles qui renferment
l'excès de la charité : Mon père, pardonnez leur, car ils ne savent ce
qu'ils font.
L'un des voleurs appelé Dismas, entendant
ces paroles, et la sainte Vierge près de laquelle il était intercédant en même
temps pour lui, il fut éclairé intérieurement et par cette divine lumière, il
fut touché de contrition pour ses péchés, il reprit son compagnon et défendit
l'honneur de Jésus-Christ, il se recommanda au Sauveur et le paradis lui fut
promis. Le bon larron ayant été justifié, Jésus jeta un regard plein de
tendresse sur sa mère, et proféra la troisième parole : femme voilà votre
fils, en lui montrant saint Jean, et il dit à celui-ci : voilà votre
mère. Il était près de trois heures et il adressa à son père la quatrième
parole: Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez vous abandonné, s'affligeant
de ce que la divinité avait suspendu les divines influences à sa sainte
humanité, et aussi parce qu'il voyait un grand nombre de méchants, qui quoique
devenus ses membres, et malgré son sang versé avec une si surabondante
profusion, devaient se séparer de son corps divin et se damner. C'est pourquoi
il proféra la cinquième parole : j'ai soif. Il avait soif de voir tous
les hommes correspondre au salut par la foi et la charité qu'ils lui devaient.
Mais les méchants lui présentèrent à l'extrémité d'un roseau une éponge trempée
de fiel et de vinaigre. A la prière de la sainte Vierge, il refusa pour ne pas
martyriser sa sainte bouche. Il prononça la sixième parole : Consummatum est,
pour annoncer que la grande oeuvre de la rédemption du monde était accomplie.
Enfin il ajouta; mon père, je remets mon âme entre vos mains, il prononça ces
divines paroles d'une voix forte et sonore, en élevant au ciel ses yeux pleins
de sang, et inclinant sa tête divine, il expira. Si la divine mère n'expira pas
aussi ce fut par un miracle de la toute-puissance de Dieu. Lucifer et tous les
siens par la vertu de ces dernières paroles fut vaincu et précipité dans
l'enfer, et son empire fut détruit. La sainte Vierge demeura au pied de la
croix jusqu'à la fin du jour, où l'on ensevelit le corps du rédempteur. Et en
récompense de cette dernière douleur la très pure mère fut toute spiritualisée
dans le peu de l'être terrestre, que son corps virginal avait encore.
Chaque père de famille fait son testament
avant de mourir, ainsi Jésus-Christ avant de prononcer les sept paroles fit son
testament sur la croix concerté avec le Père éternel, il resta scellé et caché
pour les hommes, il ne fut ouvert qu'à la divine mère comme coadjutrice de la
rédemption. il la déclara héritière, et exécutrice testamentaire pour accomplir
sa divine volonté, et tout fut remis dans ses mains par le divin maître, comme
le Père avait tout remis dans celles du fils. Ainsi notre grande reine dut
distribuer les trésors dus à son fils parce qu'il est Dieu, et acquis par ses
mérites infinis. Elle fut déclarée donc la dépositaire de toutes les richesses,
dont son fils, notre rédempteur nous cède les droits auprès du Père éternel,
afin que les secours, les grâces, et les faveurs soient accordés par la sainte
Vierge et qu'elle les distribue de ses mains miséricordieuses et libérales.
TRIOMPHE DE NOTRE-SEIGNEUR SUR LA CROIX CONTRE LA MORT ET CONTRE L'ENFER. CONCILIABULE DES DÉMONS CONTRE LE GENRE HUMAIN
Dans
tout le cours de la vie divine de Jésus-Christ notre souverain bien, la divine
providence ne permit jamais que les démons le reconnussent pour Dieu et
rédempteur du monde, et en conséquence ils ne connurent jamais la sublime dignité
de la très sainte Vierge. Lucifer resta toujours dans son aveuglement, car
tantôt il jugeait qu'il était Dieu à l'éclat de ses miracles, ensuite il
cessait de le croire en le voyant si pauvre et si humble. Il fut enfin
entièrement convaincu au triomphe glorieux de la divine croix. Au moment que
Notre-Seigneur embrassa la croix bien-aimée, Lucifer, avec les siens, se sentit
affaibli, comme privé de sa force, vaincu et lié, et l'extrémité des chaînes
fut placée entre les mains de la divine mère, afin que par la vertu de son
divin fils elle les tint assujettis et enchaînés. Ils firent tous leurs efforts
pour s'enfuir et se précipiter dans l'abîme, mais ils furent contraints et
forcés par la grande reine, à la grande honte de l'orgueilleux et superbe Lucifer,
de voir la fin de tous ces mystères. Lucifer donc et toutes les légions
infernales étaient accablés d'un tourment insupportable par la présence de
Jésus-Christ, et ils étaient forcés par la mère à leur grand chagrin et à
contre-coeur de ne pas cesser de se tenir autour de la croix.
Lorsque
Jésus-Christ commença à parler sur la croix, il voulut que les démons
l'entendissent, qu'ils pénétrassent le sens des paroles et comprissent tous les
profonds mystères qu'elles renfermaient. En l'entendant recommander à son Père
ses ennemis, ils reconnurent clairement qu'il était le véritable Messie, c'est
pourquoi ils éprouvèrent une grande rage de la force de ces paroles pleines
d'une charité infinie, et ils voulaient se précipiter dans les abîmes, mais ils
furent arrêtés par le commandement de la puissante reine. Lorsqu'ils
l'entendirent promettre le paradis au bon larron, ils comprirent le fruit de la
rédemption, Lucifer en devint furieux, et il en vint à humilier son grand
orgueil aux pieds de la grande reine pour lui demander de le chasser de sa
présence et le précipiter avec les siens dans l'enfer, mais cela ne leur fut
pas permis pour leur plus grand supplice et plus cruel tourment. Lorsqu'il
recommanda sa mère à saint Jean, en l'appelant femme ils connurent qu'elle
était véritablement cette grande femme qu'ils avaient vue dans le ciel après
leur création et qu'elle était celle qui devait écraser la tête de Lucifer,
comme il en avait été menacé dans le paradis terrestre. A la quatrième parole
qui témoigne de son abandon, ils connurent la charité incompréhensible de Jésus
qui se plaignait à son Père, non pas de ce qu'il souffrait, mais parce qu'il
désirait souffrir encore davantage pour le genre humain. Ils entrèrent dans une
plus grande rage lorsqu'ils entendirent, J'ai soif parce qu'ils virent
bien qu'il n'avait pas soif dans son corps, mais dans son âme, à cause de
l'ardente charité dont il était enflammé pour notre salut éternel. Lorsqu'ils
entendirent la sixième parole mystérieuse, tout est consommé, consummatum
est, ils eurent une entière connaissance du grand mystère de l'incarnation
et de la rédemption qui étaient déjà accomplis à leur éternelle honte et
confusion. Le règne de Jésus-Christ était ainsi établi et l'empire de satan
entièrement détruit, c'est pourquoi lorsque Jésus prononça ces paroles : Mon
Père je remets mon âme entre vos mains, et, qu'il inclina la tête et
expira, la terre s'ouvrit aussitôt et Lucifer avec tous les siens fut englouti
d'une manière terrible dans le fond des enfers, avec plus de rapidité que la
foudre, qui tombe des nues. Il tomba dans l'enfer désarmé et vaincu et sa tête
fut écrasée sous les pieds de Jésus-Christ et de sa mère.
Cette chute si rapide de Lucifer avec tous
ses démons, fut plus honteuse et leur causa un tourment plus grand que,
lorsqu'ils furent précipités la première fois du ciel. Et quoique ce malheureux
séjour soit toujours un lieu de profondes ténèbres, et couvert des ombres de la
mort, néanmoins à cette occasion il devint plus triste encore, car les damnés y
éprouvèrent une nouvelle horreur par la violence avec laquelle les démons y
furent précipités. Judas principalement ressentit un tourment plus grand; ce
malheureux en tombant dans l'enfer, fut jeté dans un abîme sans fond où les
démons avaient déjà voulu précipiter d'autres âmes, mais ils ne l'avaient
jamais pu, sans en connaître la raison. Dès le commencement, cet abîme horrible
de tourments particuliers avait été destiné pour Judas et pour les imitateurs
de Judas, les mauvais prêtres, les religieux relâchés, les chrétiens de
mauvaise vie qui après avoir reçu le saint baptême, se damnant parce qu'ils ne
profitent pas des saints sacrements, de la doctrine, de la passion et de la
mort de Jésus-Christ, et de la toute puissante intercession de sa très sainte
Mère.
Aussitôt que Lucifer, le Seigneur le
permettant ainsi, se fut remis de sa chute si terrible, il réunit en assemblée
tous les chefs des légions infernales et leur parla ainsi : Mes complices, vous
voyez que nous avons perdu l'empire que nous avions sur le monde, et que nous
avons été terrassés par l'homme Dieu et mis sous les pieds de sa mère. Que
faire maintenant ô mes compagnons, comment pourrons-nous rétablir notre empire
détruit? Comment pourrons nous perdre les hommes? Qui ne suivra désormais et
n'imitera cet homme Dieu? Les hommes marcheront tous à sa suite, ils lui
donneront tous leur coeur à l'envi, ils embrasseront sa loi, observeront ses
préceptes, et personne ne prêtera plus l'oreille à nos tromperies, ils
rejetteront les richesses et fuiront les honneurs que nous leurs promettons
pour les tromper. Ah! Sans doute, sur cet exemple, ils aimeront tous la pauvreté,
la pureté, l'obéissance et le mépris. Ils obtiendront tous cette félicité
éternelle que nous avons perdue; ils s'humilieront tous jusqu'au-dessous de la
poussière et ils souffriront avec patience pour imiter leur rédempteur. Mon
orgueil néanmoins ne cède point. Allons, courage, concertons-nous. Approchez
pour conférer avec moi sur les moyens par lesquels nous ferons la guerre au monde
racheté par un homme Dieu et protégé par sa mère notre terrible ennemie. A
cette proposition si difficile, quelques chefs des démons, les plus rusés,
répondirent en l'excitant à empêcher les fruits de la rédemption et ils dirent
: Il est vrai que les hommes possèdent maintenant une loi très douce, des
sacrements qui sont très efficaces, les nouveaux exemples d'un divin maître, et
la toute-puissante intercession de cette nouvelle femme; mais la nature humaine
est toujours la même et les choses délectables et sensibles n'ont pas été
changées, c'est une condition de la nature humaine, qu'occupée à un objet elle
ne peut être attentive à ce qui lui est opposé. Ils résolurent alors de
maintenir l'idolâtrie dans le monde, afin que les hommes ne parvinssent jamais
à la connaissance du vrai Dieu et de la rédemption; et si l'idolâtrie était
détruite, qu'il fallait introduire de nouvelles sectes et hérésies dans le
monde. Alors furent inventés par ces monstres infernaux les dogmes erronés
d'Arius, de Pélage, de Nestorius, de Mahomet et des autres hérétiques maudits.
Tout cela fut approuvé par Lucifer, parce qu'il détruisait le fondement de la
vie éternelle bienheureuse. D'autres démons prirent l'engagement de mettre tous
leurs soins, à rendre négligents les parents et les chefs de famille dans
l'éducation de leurs enfants et de leurs subordonnés.
D'autres prirent la charge de semer la
division entre les maris et les épouses pour faire naître des haines et des
querelles entre eux, parce que ce serait une disposition prochaine à
l'adultère. Les autres dirent, il faut travailler à enlever la piété et tout ce
qui est spirituel et divin, faire en sorte que les hommes ne comprennent pas la
vertu des sacrements, et qu'ils les reçoivent en état de péché; et lorsqu'il arrivera
qu'ils n'auront pas commis des fautes mortelles, qu'ils les reçoivent sans
ferveur et sans dévotion, car puisque ces bienfaits sont spirituels, il est
nécessaire de les recevoir avec ferveur et bonne volonté, pour que ceux qui y
participent en retirent des fruits plus abondants. S'ils en viennent à mépriser
le remède, alors négligents de leur salut ils ne pourront pas recouvrer leurs
forces, ils ne résisteront pas à nos tentations, et aveuglés ils ne
reconnaîtront pas nos tromperies et nos piéges, et n'apprécieront pas l'amour
de leur propre rédempteur, ni la protection de la puissante femme. Par-dessus
tout ils résolurent d'un commun accord de mettre tout leur zèle et tout leur
soin à effacer de la mémoire des fidèles, le souvenir de la douloureuse passion
de Jésus-Christ, parce qu'ils oublieraient ainsi les peines de l'enfer, et le
danger de leur éternelle damnation.
Il n'est pas possible de rapporter ici les
avis et les résolutions de ces esprits rebelles, qui tramèrent la destruction
de l'église et la perte des fidèles. Il suffit de dire, que ce conciliabule
infernal dura une année entière. Lucifer écouta tous les projets des démons, et
les approuva, il excita ensuite toutes ses légions infernales, et mit tout en
oeuvre contre le monde racheté et surtout contre les chrétiens. Il ordonna à
ses complices animés par la rage de semer la discorde dans l'église et dans les
chefs et les maîtres l'ambition, l'avidité, la sensualité, l'avarice, afin que
les pêchés se multipliant, parmi les chrétiens et surtout dans les chefs et
ceux qui doivent conduire les autres, Dieu s'irrite justement contre eux par
leur ingratitude; alors il adviendra, qu'il leur refusera et leur soustraira
les secours de la grâce, ils se fermeront par leurs péchés la voie maintenant
ouverte de la rédemption, et ainsi l'enfer triomphera.
Quiconque lira ce chapitre doit réfléchir
sérieusement, que Lucifer et l'enfer est toujours le même, qu'il a la même
haine et la même rage contre nous qui sommes si faibles, c'est pourquoi il faut
ranimer tout notre zèle pour notre salut. Nous ne devons pas nous laisser
séduire par les appâts trompeurs du monde, des sens et de l'enfer, mais il nous
faut recourir aux plaies de notre rédempteur et vivre sous le manteau de notre
divine reine.
COUP DE LANCE AU DIVIN CÔTÉ, SÉPULTURE, ET RETOUR DE LA SAINTE VIERGE AU CÉNACLE.
La
mère des douleurs couverte d'un manteau noir, resta toujours débout sur le
Calvaire, appuyée sur la sainte croix, adorant le très saint corps de Jésus qui
avait expiré sur elle et la personne divine à laquelle Son corps resta toujours
uni. La grande reine était toujours constante à pratiquer intérieurement les
plus héroïques vertus, et restait immobile au milieu des mouvements impétueux
de ses plus cruelles douleurs. L'affliction la plus grande de cette
miséricordieuse et divine mère était la coupable ingratitude que les hommes
témoignaient pour cet incompréhensible bienfait à leur grand dommage et à leur
propre perte. Elle était aussi dans une grande sollicitude pour la sépulture du
corps sacré et pour savoir celui qui l'enlèverait de la croix; lorsqu'elle vit tout
à coup une troupe de gens armés, qui s'approchaient du Calvaire; les battements
de son coeur redoublèrent, parce qu'elle craignit quelque nouvel outrage au
corps sacré du rédempteur.
Elle s'adressa à saint Jean et aux saintes
femmes et leur dit: Hélas, ma douleur est arrivée à son plus haut degré et mon
coeur en est brisé dans la poitrine. Hélas, les bourreaux ne sont pas peut-être
satisfaits d'avoir donné la mort à mon fils, ils eurent encore faire de
nouveaux outrages au corps sacré! C'était déjà le soir du vendredi et la grande
fête du sabbat des Juifs commençait, c'est pourquoi, afin de pouvoir la
célébrer sans embarras, ils avaient demandé à Pilate la permission de rompre
les jambes aux trois crucifiés, pour hâter leur mort, afin qu'on pût les
descendre de la croix sur le déclin du jour. Les soldats que la mère affligée
avait vus arrivaient dans cette intention au Calvaire. A leur arrivée, trouvant
encore en vie les deux larrons, ils leur rompirent les jambes, et ils moururent
aussitôt. S'approchant alors de Jésus, ils remarquèrent qu'il était déjà mort,
et un soldat nommé Longin, lui transperça le côté avec une lance et il en
sortit du sang et de l'eau. Le Seigneur qui était mort, ne put sentir cette
cruelle blessure, mais la mère affligée qui était là présente, la ressentit
toute dans son coeur, comme si réellement elle avait été transpercée de la
lance. Mais cette douleur fut encore moindre que celle que ressentit son âme,
en voyant la nouvelle cruauté avec laquelle ils avaient percé le divin côté de
son fils déjà mort. Touchée de compassion et de pitié pour Longin, elle dit:
Que le Tout-Puissant vous regarde avec les yeux de sa miséricorde infinie, à
cause de la douleur immense que vous avez causée à mon âme. Elle fut exaucée
aussitôt, car il tomba, quelques gouttes de sang et de l'eau qui sortaient du
divin corps sur le visage de Longin, et par l'intercession de la divine mère
affligée, il obtint la vue du corps qu'il avait à peine, et celle de son âme,
car il connut la majesté du Seigneur crucifié, fut converti, et pleurant ses
péchés, il le confessa pour vrai Dieu et rédempteur du monde, et il le prêcha
comme tel aux Juifs qui l'environnaient.
La grande mère de la sagesse connut le
mystère du coup de lance, et comprit comment, dans ce reste de sang et d'eau
qui coulait du divin côté, la nouvelle Église sortait lavée, purifiée et
renouvelée par la vertu de la passion et de la mort, et comment de son coeur
sacré il sortait comme d'un tronc des rameaux qui, chargés de fruits de vie
éternelle, devaient se répandre dans le monde entier. La divine mère pria, afin
que tous les mystères de la rédemption fussent accomplis pour le bonheur de
tout le genre humain. En ce moment, elle vit s'avancer sur la montagne une
autre troupe de personnes qui portaient des échelles, c'était Joseph
d'Arimathie, Nicodème et leurs serviteurs. Arrivés au pied de la croix, où se
trouvait la mère des douleurs, au lieu de la saluer et de la consoler, ils
furent si touchés de compassion à sa vue et ils éprouvèrent une telle douleur
en voyant le divin Seigneur cloué sur la croix, qu'ils restèrent quelque temps
sans pouvoir proférer une parole. Enfin, fortifiés par la reine des vertus, ils
reprirent courage et la saluèrent avec une humble compassion.
Ils se disposèrent ensuite à ôter les
clous et descendre le corps sacré. Joseph désirait que la mère affligée se
retirât un peu à l'écart afin de ne pas renouveler ses douleurs, mais toujours
constante et courageuse, elle leur dit: Puisque j'ai eu la consolation de voir-
mettre mon fils en croix, permettez que j'ai encore celle de l'en voir
descendre, car cet acte de si grande piété me causera plus de soulagement que
de peine et de souffrance. A ces paroles si généreuses, ils se mirent aussitôt
à descendre le corps de la croix. Ils enlevèrent d'abord la grande couronne
d'épines, et après l'avoir baisée avec une grande vénération, ils la remirent à
la sainte Vierge. Elle la reçut à genoux et l'adora, elle l'approcha avec piété
de son visage et la couvrit de larmes abondantes; saint Jean et les saintes
femmes l'adorèrent aussi. Ils en firent de même pour les clous sacrés, qu'ils
enlevèrent successivement des divines plaies. Pour recevoir le corps sacré, la
mère des douleurs se mit à genoux et étendit ses bras avec un linceul déployé.
Saint Jean tenait la tête,
Elle l'adora profondément, en versant des
larmes de sang par l'excès de sa cruelle douleur. Tous les saints anges qui
étaient là présents l'adorèrent aussi, mais ils ne furent pas vus des
assistants. Saint Jean l'adora et après lui tous les autres fidèles, dans les
bras de sa mère en pleurs. Après avoir accompli ce devoir, saint Jean et Joseph
prièrent
Saint Jean, Nicodème, Joseph, et le
centurion qui avaient assisté à la mort du rédempteur, et qui l'avaient
confessé pour fils de Dieu, portèrent le sacré corps. Derrière eux marchait la
mère affligée, accompagnée des Maries et des autres dévotes femmes, et après
celles-ci, divers autres fidèles qui avaient été éclairés de la divine lumière;
ils le conduisirent en pleurant à un jardin où Joseph avait un sépulcre neuf,
dans lequel ils le mirent avec une grande vénération. Avant de le fermer avec
la pierre, la divine mère se mit à genoux et adora de nouveau son fils, et tous
les autres l'imitèrent en pleurant. Le sépulcre, étant fermé
Saint Jean pria alors la sainte Vierge de
prendre un peu de repos: Mon repos, répondit-elle, consiste à voir mon fils
ressuscité. Après ces paroles, elle se retira dans une chambre accompagnée de
saint Jean, là, elle se jeta aux pieds de l'apôtre, et lui rappela ce que le
Seigneur lui avait dit sur la croix, et elle le pria, comme prêtre du
Très-Haut, de lui commander toujours, comme sa servante, tout ce qu'elle devait
faire à l'avenir. Saint Jean lui donna des raisons pour démontrer que ce droit
lui appartenait bien plutôt comme mère; mais ce fut en vain; car l'humble reine
ajouta, mon fils, je dois avoir toujours quelqu'un à qui je puisse assujettir
ma volonté, et certes, comme fils, vous devez me donner cette consolation dans
ma solitude. Le saint répondit à ces paroles, qu'il soit fait comme vous le
voulez, ma mère, Alors
L'apôtre exécuta ces ordres, ensuite ils
se retirèrent tous pour employer cette nuit dans de douloureuses méditations
sur la passion du rédempteur. A l'aurore du samedi, saint Jean entra dans
l'oratoire de la divine mère pour la consoler, et il en reçut la bénédiction
qu'il reçut le premier de
Après avoir passé le jour du sabbat dans
de saints entretiens et de pieuses méditations, elle se retira le soir pour
contempler les divines actions que l'âme très sainte de Jésus faisait aux
limbes, car elle voyait clairement en esprit toutes les choses.
Elle vit que lorsque l'âme de son divin
fils entra aux limbes, cette obscure prison fut illuminée et remplie de
célestes consolations. Ensuite il fut commandé aux anges de conduire dehors
toutes les âmes des limbes et celles du purgatoire, et réunies toutes ensemble,
elles donnèrent mille louanges et mille bénédictions à leur libérateur. La
grande reine vit tout cela et en éprouva une grande joie dans son âme, sans
qu'elle se fît sentir dans la partie sensitive, parce qu'elle avait prié le
Père éternel de lui suspendre toutes les consolations extérieures, pendant tout
le temps que son divin fils resterait dans le sépulcre. Ce jour fut terrible
pour l'enfer, qui par la permission de Dieu ressentit cette descente
triomphante aux limbes. Les démons étaient encore affaiblis, abattus et
accablés par la chute qu'ils avaient faite sur le calvaire, mais en entendant
la voix des anges qui précédaient le Seigneur, ils se troublèrent et furent
saisis de crainte, et comme font les serpents, lorsqu'ils sont poursuivis, ils
se cachèrent-dans les cavernes infernales. L'indicible confusion des malheureux
damnés fut encore plus grande et principalement de Judas, parce que les démons
exhalèrent avec une grande fureur contre lui leur indignation et leur rage.
RÉSURRECTION DU SEIGNEUR, ET GRANDE JOIE DE LA DIVINE MÈRE. AUTRES MERVEILLES.
Le divin Seigneur resta aux limbes avec les Saints pères, depuis le
vendredi au soir, jusqu'au matin du dimanche, où il sortit du sépulcre, avant
l'aurore, accompagné des saints anges et des âmes des justes qu'il avait rachetées.
Un grand nombre d'esprits bienheureux étaient de garde auprès du sépulcre, et
quelques-uns d'entre eux, par l'ordre de la grande reine, avaient recueilli le
sang divin, et les lambeaux de chair sacrée arrachés par les coups, et tout ce
qui regardait la gloire du corps, ou appartenait à l'intégrité de la très
sainte humanité. Les âmes des saints pères en arrivant virent d'abord le corps
couvert de plaies et défiguré par les outrages et la cruauté des juifs, ensuite
les anges rétablirent en leur place, avec une grande vénération les saintes
reliques qu'ils avaient recueillies, et dans le même instant, l'âme très sainte
du rédempteur s'unit au corps sacré, et lui communiqua la vie immortelle et
glorieuse. Le Seigneur sortit du sépulcre avec une beauté céleste, et en
présence des saints pères il promit à tout le genre humain la résurrection des
corps, comme un effet de la sienne, et comme gage de cette promesse, il
commanda aux âmes de plusieurs justes qui étaient là présents, de reprendre
leurs corps et de s'unir à eux; c'est pourquoi l'évangéliste dit : et les
corps de plusieurs ressuscitèrent. La très sainte Vierge connut tout cela
et cette vue fit rejaillir sur elle une splendeur céleste, qui la rendit
éclatante de beauté et de lumière. Saint Jean était venu pour la consoler comme
le jour précédent dans sa douloureuse solitude, il la vit tout-à-coup
environnée de splendeur et de rayons de gloire, et comme l'apôtre pouvait à
peine auparavant la reconnaître à cause de sa tristesse, il en fut saisi d'étonnement,
et il pensa aussitôt que le divin maître était ressuscité, puisque la divine
mère était ainsi renouvelée.
La grande reine, toute absorbée dans la
pensée que son fils était ressuscité, faisait des actes héroïques dans son
coeur embrasé de charité, lorsqu'elle ressentit en elle-même quelque chose de
nouveau, et ce fut une sorte de joie et de consolation céleste qui
correspondait à l'incompréhensible douleur qu'elle avait soufferte dans la
passion. Cette surabondance de joies dans sa grande âme se communiquait, comme
naturellement il arrive, de l'âme au corps. Après ces admirables effets, elle
reçut aussitôt un troisième bienfait différent, ce fut une nouvelle lumière
semblable à celle du ciel; étant ainsi préparée, son fils bien-aimé entra dans
sa chambre ressuscité et glorieux, accompagné de tous les saints et des
patriarches. L'humble reine se prosterna aussitôt à terre, et adora son divin
fils et Seigneur, qui la releva et l'approcha de son divin côté, elle reçut à
ce divin contact une faveur extraordinaire d'élévation incomparable qu'elle
seule put mériter, comme exempte de la loi du péché d'Adam, et elle n'aurait pu
la recevoir si le Seigneur ne l'eût fortifiée, afin qu'elle ne tombât pas en
défaillance. Elle consista, en ce que le corps glorieux du fils environna
entièrement l'âme de sa mère, comme un globe de cristal qui renfermerait le
soleil, et le corps très-pur de la Sainte Vierge devint comme celui des
bienheureux; elle entendit alors une voix qui dit: ma bien-aimée, montez
plus haut. Par la vertu de cette voix divine, elle fut toute transformée,
et elle vit clairement l'essence divine, dans laquelle elle trouva son repos et
la récompense, quoique en un instant, de toutes les peines qu'elle avait
souffertes. Elle resta plusieurs heures dans cette ineffable jouissance, et
elle reçut autant de grâces et de dons qu'une créature peut en recevoir. Elle
parla ensuite à chacun des saints patriarches, elle les reconnut les uns après
les autres et tous lui rendirent grâces comme mère du rédempteur. Elle s'arrêta
à parler en particulier avec sainte Anne, saint Joseph, saint Joachim et
Jean-Baptiste.
Après la visite faite à sa chère mère,
le Seigneur voulut aussi consoler par sa présence ceux qui avait souffert dans
sa passion, comme le rapportent les évangélistes. Lorsque le Seigneur avait
consolé les autres, il s'entretenait toujours dans le cénacle avec sa
très-sainte mère, qui pendant les quarante jours avant l'ascension, ne sortit
jamais de la maison. Le Seigneur visita d'abord les saintes femmes, parce
qu'elles étaient restées plus fermes dans la foi et l'espérance de la
résurrection. Le saint évangile raconte que les Maries allèrent au sépulcre, et
un évangéliste dit qu'elles y allèrent de nuit, et l'autre, le soleil, étant
déjà levé. La chose se passa ainsi. Les femmes partirent du cénacle, le
dimanche, avant qu'il fit jour, et lorsqu'elles furent arrivées au sépulcre, le
soleil était déjà levé, parce que ce jour là il anticipa des trois heures dont
il avait été éclipsé, lorsque le rédempteur était mort. Il est donc vrai que
suivant le temps ordinaire il était nuit, mais ce matin là le soleil était déjà
levé, lorsqu'elles arrivèrent. Pendant les quarante jours où le divin fils
s'entretenait avec la grande reine, les effets que sa divine présence opéra en
elle sont indicibles.
La grande reine parla plusieurs fois
avec les saints pères, et comme mère de la sagesse, elle connaissait les
grandes faveurs et les grâces qu'ils avaient reçues du Très-Haut et les
prophéties qu'ils avaient faites des divines actions, de la vie et mort de
Jésus-Christ. Elles les invita plusieurs fois à louer avec elle le Seigneur, et
ils formaient, rangés en ordre un choeur magnifique, ou chacun chantait un
verset, la divine mère leur répondait par un autre, et dans ces cantiques elle
donnait seule plus de gloire au Très-Haut que tous les saints ensemble. Il
arriva aussi une autre merveille dans cet heureux temps, ce fut que toutes les
âmes des justes qui pendant ces quarante jours passèrent à l'éternité, étaient
amenées au cénacle, et celles qui n'avaient rien à purifier étaient aussitôt
béatifiées, mais celles qui auraient du aller au purgatoire n'avaient pas ce
bonheur, et les unes trois jours, les autres quatre, les autres cinq, elles
étaient privées de la vue de Jésus-Christ ressuscité. Alors la grande mère de
la piété et de la miséricorde satisfaisait pour elles par des adorations, des
prostrations et des génuflexions et divers autres actes de religion, après
laquelle satisfaction, elles étaient admises à voir le Seigneur et à jouir de
sa présence, et prosternées devant la divine mère elles lui rendaient de vives
actions de grâces.
Les évangélistes rapportent plusieurs
apparitions de Jésus-Christ ressuscité, et quoiqu'ils ne fassent pas mention de
celle qui fut faite à saint Pierre, il est néanmoins certain, que le Seigneur
plein de bonté lui apparut en particulier, après l'apparition faite aux saintes
femmes. Pour ce qui est du fait de saint Thomas, il est bon de savoir comment
il fut converti de son incrédulité par les prières de la sainte Vierge. Les
saints apôtres venaient lui raconter l'obstination de Thomas, et l'accusaient
de rester incrédule à leurs paroles et obstiné dans son sentiment. La
miséricordieuse mère répondait à ces accusations avec bonté et tranquillité, et
leur donnait des raisons pour les apaiser, en leur disant, que les jugements de
Dieu sont profonds, et que le Seigneur tirerait un grand bien de cette
incrédulité qu'ils condamnaient. En outre elle fit une très fervente oraison au
Seigneur pour obtenir le remède, que le Seigneur donna ensuite à saint Thomas.
Quelques jours avant l'ascension, la
sainte Vierge se trouvant dans le cénacle, le Père éternel avec l'Esprit-Saint
apparût sur un trône d'ineffable beauté, sur lequel le Verbe incarné monta
lui-même. A cette vue, l'humble Reine retirée dans un coin de la chambre,
humiliée et prosternée à terre adora avec une profonde vénération la
très-sainte Trinité; mais le Père éternel ordonna aux anges de la conduire à
son trône divin, et lorsqu'elle fut arrivée, ma bien-aimée, lui dit- il,
montez plus haut, et elle fut élevée sur le trône auguste de la
divinité. Alors le Père éternel lui recommanda son Église que son fils avait
rachetée, par ces paroles. « Ma fille, je vous confie et je vous recommande
l'église que mon fils a fondée, et la nouvelle loi de grâce qu'il a enseignée
au monde. »
Ensuite le Saint-Esprit lui communiqua la
souveraine sagesse et la grâce, et le Fils la laissa et l'établit à sa place
pour gouverner les fidèles. Alors les trois personnes divines s'adressant aux
choeurs des saints anges la déclarèrent leur Reine, souveraine de tout ce qui
est créé, protectrice de la sainte église, mère du bel amour, avocate des
pécheurs et plusieurs autres titres très-beaux. Jésus-Christ adressa un
semblable discours aux cent vingt personnes, le jour de la glorieuse ascension,
dans le cénacle, où elles étaient rassemblées. « Mes chers enfants, dit-il, je
m'en vais à mon Père du sein duquel je suis descendu pour le salut du monde. Je
vous laisse en ma place pour consolatrice, avocate et médiatrice, ma mère, que
vous écouterez et à qui vous obéirez. Et comme je vous ai déjà dit, celui qui
me verra, verra mon Père, et celui qui me connaîtra, connaîtra aussi mon Père,
ainsi je vous dis maintenant, celui-là me connaîtra, qui connaîtra ma mère, et
celui qui l'écoutera, m'écoutera moi-même, celui qui m'offensera, l'offensera,
et celui-là m'honorera, qui l'honorera.
Vous la tiendrez tous pour mère, pour
supérieure, pour maîtresse et pour avocate. Elle répondra à vos doutes et à vos
difficultés, parce que je serai avec elle jusqu'à la fin du monde, comme j'y
suis maintenant, quoique d'une manière qui vous est cachée et que vous ne
connaissez pas encore. Le Seigneur parla ainsi, parce qu'il était en elle sous
les espèces sacramentelles qu'elle avait reçue à la cène et qu'elle conservait
dans son coeur. Vous reconnaîtrez aussi Pierre comme chef de l'Église, dans
laquelle je l'établis comme mon vicaire. Vous regarderez saint Jean comme fils
de ma mère, ainsi que je l'ai nommé sur la croix. Après ces paroles il fit
connaître à sa mère bien-aimée, la volonté qu'il avait d'ordonner à cette
assemblée de fidèles de commencer à l'honorer du culte qui était due à la mère
de Dieu, et de laisser un précepte de sa vénération dans l'Église. Mais
l'humble Reine le supplia avec une grande ardeur de vouloir bien en ce moment
ne lui donner d'autres honneurs, que celui qui serait nécessaire pour accomplir
la charge qu'il lui avait imposée, et que les fidèles ne lui rendissent pas de
plus grande vénération qu'ils n'avaient fait jusqu'alors, mais que tout le
culte s'adressa à lui et à son saint nom. Le Seigneur agréa cette humble
demande, en se réservant de la faire connaître plus parfaitement au monde dans
un temps plus convenable.