LE RÉALISME DE
Par Gabriel HUAN.
«Les juifs demandent des miracles et les Grecs cherchent la sagesse ;
nous, nous prêchons le Christ crucifié » (I Cor., I. 22)
Vous rappelez-vous la saisissante description qu'a faite Huysmans, dans Là-Bas,
du Christ en croix peint par Mathaeus Grûnewald au Musée de Cassel ?
« Démanchés, presque arrachés des épaules, les bras du
Christ paraissaient garrottés dans toute leur longueur par les courroies
enroulées des muscles. L'aisselle déclamée craquait ; les mains grandes
ouvertes brandissaient des doigts hagards « qui bénissaient quand même, dans un
geste confus de prières et de reproches ; les pectoraux tremblaient, beurrés
par les sueurs le torse était rayé de cercles de douves par la cage divulguée
des côtes ; les chairs gonflaient, salpêtrées et bleuies, persillées de
morsures de puces, mouchetées comme de coups d'aiguilles par les pointes des
verges qui, brisées sous la peau, la lardaient encore, çà et là, d'échardes
L'heure des sanies était
venue, la plaie fluviale du flanc ruisselait plus épaisse, inondait la hanche
d'un sang pareil au jus foncé des mûres ; des sérosités rosâtres, des petits
laits, des eaux, semblables à des vins de Moselle gris suintaient de la
poitrine, trempaient le ventre au-dessous duquel ondulait le panneau bouillonné
d'un linge ; puis, les genoux rapprochés de force, heurtaient leurs rotules et
les jambes tordues s'évidaient jusqu'aux pieds qui, ramenés l'un sur l'autre,
s'allongeaient, poussaient en pleine putréfaction, verdissaient dans des flots
de sang les pieds spongieux et caillés étaient horribles la chair bourgeonnait,
remontait sur la tête du clou et leurs doigts crispés contredisaient le geste
implorant des mains, maudissaient, griffaient presque avec la corne bleue de
leurs ongles l'ocre du sol, chargé de fer, pareil aux terres empourprées de
Au-dessus de ce cadavre en
éruption, la tête apparaissait tumultueuse et énorme ; cerclée d'une couronne
désordonnée d'épines, elle pendait, exténuée, entrouvrait à peine un oeil hâve
où frissonnait encore un regard de douleur et d'effroi ; la face était
montueuse, le front démantelé, les joues taries ; tous les traits renversés
pleuraient, tandis que la bouche descellée riait avec sa mâchoire contractée
par des secousses tétaniques, atroces. Le
supplice avait été épouvantable, l'agonie avait terrifié l'allégresse des
bourreaux en fuite. »
Le voilà le réalisme de
Que vient-on nous parler, à
ce propos, de symbolisme, comme si la Croix de Jésus, par l'intersection de ses
deux lignes horizontale et verticale, avait simplement pour objet de
représenter par des signes géométriques une certaine doctrine cosmologique ? (1). En vérité, il s'agit ici de tout autre chose
que de conceptions métaphysiques. Ce qui s'est accompli sur le Calvaire, c'est
un sacrifice et un sacrifice sanglant : un Homme a été cloué sur une croix, et
quel Homme ! Le Fils de Dieu, le Verbe, qui ne s'est fait chair qu'afin de
donner sa vie pour le salut du monde. Si la Croix est
un signe, c'est le signe de notre Rédemption. Aussi, dans la
contemplation de Jésus crucifié, attachons-nous bien moins nos regards à
l'instrument de bois qui a servi au supplice qu'à l'être humano-divin qui y est
suspendu.
Avez-vous noté le fait
remarquable de la destruction du Temple de Jérusalem quelques années après la
mort du Sauveur ? Cette destruction a eu pour effet de mettre un terme aux
rites sacrificiels qui y étaient célébrés et par suite, à l'institution même du
sacerdoce juif. Il semble bien, à ne constater que la succession historique des
événements, que la mort de Jésus sur
Devant ce spectacle de Jésus en croix, dont la tragique grandeur est faite de
justice et d'amour, quel est celui d'entre nous qui oserait dire: cela ne me
regarde pas ! Comme s'il n'était pour rien dans la passion du Christ ! Comme si
Celui qui fut sans péché n'avait souffert et n'était mort que pour son propre
salut ! Le grand-prêtre juif aspergeait lui-même de sang l'autel de Yahvé
devant tout le peuple, au grand jour de l'Expiation ; mais, en le marquant
ainsi du sang des taureaux, ce n'est pas seulement pour la rémission des péchés
du peuple qu'il offrait le sacrifice, C'était aussi pour la rémission de ses
propres péchés. Le Saint de Dieu, qui est notre grand-prêtre pour l'éternité,
n'offre pas à son Père le sang des taureaux : il offre son sang à lui et il
l'offre pour le salut du monde, c'est-à-dire pour la rédemption de chacun de
nous en particulier. « Le Fils de Dieu, parce qu'il m'a aimé, s'est livré
lui-même à la mort pour moi ». (Galat.II,
20).
Comprend-on maintenant ce qu'est pour nous Jésus en
Croix ?
Jésus
en croix, c'est le don infini de l'Amour divin à tout coeur qui veut aimer !
Jésus en croix, c'est la miséricorde et le pardon de Dieu, s'inclinant vers
tous les hommes de bonne volonté !
Jésus en croix, c'est l'Agneau sans tâche qui porte sur lui les péchés du monde
!
Jésus en croix, c'est le bon Pasteur qui donne sa vie pour ses brebis !
Jésus en croix, c'est le Roi des rois, couronné d'épines pour payer la rançon
de son peuple !
Jésus en croix, c'est
Jésus en croix, c'est
Jésus en croix, c'est la sainte et pure Victime d'amour inondant toute la terre
de son sang, afin qu'elle fût lavée de toutes ses iniquités, de toutes ses
turpitudes, de toutes ses forfaitures !
Jésus en croix, c'est le souverain Maître de l'Univers livré à toutes les
puissances du Mal et de
Jésus en croix, c'est l'appel de l'Amour compatissant à toutes les âmes
affligées qui plient sous le poids de leurs misères et de leurs fautes !
Jésus en croix, c'est le Dieu qui meurt pour que tous les hommes, ses créatures
aient la vie et la vie éternelle
Jésus en croix, c'est notre guérison, notre lumière., notre, force, notre
justice, c'est notre sanctification et notre rédemption, notre Salut et notre
Paix.
«Mon âme approche de la Croix avec la plus profonde
humilité, la plus grave attention et la plus entière confiance. Baise cet autel
où meurt ton Bien-aimé Sauveur : mets-toi sous ses pieds et courbe la tête pour
recevoir le sang divin. Dis, comme les Juifs mais avec un tout autre sentiment
: que son sang soit sur moi ! Oui, Seigneur, que votre précieux sang descende
sur nous et nous lave de nos péchés ! Non, le sang de Jésus-Christ, le sang du
Sauveur mort pour nous, ce sang ne crie pas vengeance comme celui d'Abel. Il ne
demande pour nous que grâce et miséricorde (2).»
JÉSUS EN CROIX ! VOUS QUI EFFACEZ LES PÉCHÉS DU MONDE,
AYEZ PITIÉ DE NOUS