XLVI. TREMBLEMENT DE TERRE,
APPARITION DES MORTS A JERUSALEM
Lorsque Jésus, poussant un grand cri, remit son esprit entre les mains
du Père céleste, je vis son âme, semblable à une forme lumineuse, entrer en
terre au pied de la croix, et avec elle une troupe brillante d'anges, parmi
lesquels était Gabriel. Ces anges chassaient de la terre dans l'abîme une
multitude de mauvais esprits. Jésus envoya plusieurs âmes des limbes dans leurs
corps, afin qu'elles effrayassent et avertissent les impénitents et qu'elles
rendissent témoignage de lui.
Le
tremblement de terre qui fendit la roche du Calvaire causa beaucoup
d'écroulements, surtout à Jérusalem et dans
Dans
le Temple, les Princes des Prêtres venaient de reprendre le sacrifice,
momentanément interrompu par la frayeur qu'avaient répandue les ténèbres, et
ils triomphaient du retour de la lumière lorsque tout à coup le sol trembla, le
bruit des murs qui s'écroulaient et du voile du Temple qui se déchirait frappa
la foule d'une terreur muette, à laquelle succédèrent par endroits des cris
lamentables. Mais il y avait tant d'ordre partout, l'immense édifice était si
plein, les allées et venues des gens qui sacrifiaient si parfaitement réglées,
les cérémonies de l'immolation des agneaux et de l'aspersion de l'autel avec
Leur sang se développaient si régulièrement, à travers les longues files des
prêtres, au milieu du chant des cantiques et du bruit des trompettes, tout cela
occupait tellement les yeux et les oreilles, que la peur ne produisit pas tout
d'abord un désordre et une déroute générale. Les sacrifices se continuèrent
donc tranquillement dans quelques endroits, tandis qu'ailleurs régnait
l'épouvante et qu'ailleurs encore la terreur était calmée par les efforts des
prêtres. Mais, à l'apparition des morts qui se montrèrent dans le Temple, tous
se dispersèrent, et le sacrifice fut laissé la comme si le Temple eût été
souillé. Toutefois, cela ne se lit encore que successivement ; et pendant
qu'une partie des assistants descendait précipitamment les degrés du Temple,
d'autres étaient maintenus par les prêtres, ou n'étaient pas encore atteints
par la frayeur universelle. Toutefois l'angoisse et l'épouvante se
manifestaient partout, à divers degrés, d'une façon qu'on ne saurait décrire.
On ne peut se faire une idée du ce qui se passait qu'en se représentant une
fourmilière sur laquelle on a jeté des pierres, ou qu'on a remuée avec un
bâton. Pendant que la confusion règne sur un point, le travail continue sur un
autre et même à l'endroit où ce trouble a commencé, tout se remet promptement
en ordre.
Le
grand prêtre Caïphe et les siens, dans leur audace désespérée, conservèrent
leur présence d'esprit. Semblables aux chefs habiles d'une ville révoltée, ils
conjurèrent le danger en menaçant, en exhortant et en faisant jouer tous les
ressorts. Grâce à leur endurcissement diabolique et à la tranquillité apparente
qu'ils gardèrent, ils empêchèrent qu'il y eut une perturbation universelle et
firent si bien que la masse du peuple ne vit pas dans ces terribles
avertissements un témoignage rendu à l'innocence de Jésus. La garnison romaine
de la forteresse Antonia fit aussi de grands efforts pour maintenir l'ordre, en
sorte que, malgré la terreur et la confusion générales, la célébration de la
fête cessa sans qu'il y eût de tumulte populaire ; la foule se dispersa peu à
peu et l'explosion qu'on pouvait craindre fut étouffée, tout se borna à
l'agitation pleine d'angoisse que chacun remporta chez soi, et que l'habileté
des Pharisiens comprima chez le plus grand nombre.
Telle
était la situation générale de la ville : voici maintenant les faits
particuliers dont je me souviens. Les deux grandes colonnes situées à l'entrée
du sanctuaire du Temple, et entre lesquelles était suspendu un magnifique
rideau s'écartèrent l'une de l'autre ; le linteau qu'elles supportaient
s'affaissa, le rideau se déchira avec bruit dans toute sa longueur, et le
sanctuaire fut ouvert à tous les regards. Ce rideau était rouge, bleu, blanc et
jaune. Plusieurs cercles astronomiques y étaient représentés ainsi que diverses
figures comme colle du serpent d'airain. Près de la cellule où priait
habituellement le vieux Siméon, laquelle était à côté du sanctuaire, dans les
murs du nord, une grosse pierre tomba et la voûte s'écroula. Dans quelques
salles, le sol s'abaissa, les seuils se déplacèrent et des colonnes
s'écartèrent.
(1) En 1821,
On
vit apparaître dans le sanctuaire le grand-prêtre Zacharie, tué entre le Temple
et l'autel, il fit entendre des paroles menaçantes, et parla de la mort de
l'autre Zacharie (t), de celle de Jean, et en général du meurtre des prophètes.
Il sortit de l'ouverture formée par la chute de la pierre qui était tombée près
de l'oratoire du vieux Siméon, et parla aux prêtres qui étaient dans le
sanctuaire. Deux fils du pieux grand-prêtre Simon le Juste, aïeul de Siméon,
qui avait prophétisé lors de la présentation de Jésus au Temple, se montrèrent
près de la grande chaire ; ils parlèrent aussi de la mort des prophètes et du
sacrifice qui allait cesser, et exhortèrent tout le monde à embrasser la
doctrine du Crucifié. Jérémie parut près de l'autel, et proclama d'une voix
menaçante la fin de l'ancien sacrifice et le commencement du nouveau. Ces
apparitions ayant eu lieu en des endroits où les prêtres seuls en avaient eu
connaissance, furent niées ou tenues secrètes, il fut défendu d'en parler sous
une peine sévère. Mais un grand bruit se fit entendre : les portes du
sanctuaire s'ouvrirent, et une voix cria : Sortons d'ici. Je vis alors des anges s'éloigner. L'autel
des parfums trembla : un encensoir tomba l'armoire qui contenait les écritures
se renversa, et tous les rouleaux furent jetés pêle-mêle ; la confusion
augmenta on ne savait plus où l'on en était. Nicodème, Joseph d'Arimathie et
plusieurs autres quittèrent le Temple. Des morts ressuscités s'y montraient
encore ou erraient parmi le peuple qui se retirait du Temple. A la voix des
anges qui prononçaient des paroles menaçantes, ils rentrèrent dans leurs
tombeaux. La chaire qui était dans le vestibule s'écroula. Cependant plusieurs
des trente-deux Pharisiens qui étaient allés en dernier lieu au Calvaire
étaient retournés au Temple. S'étant déjà convertis au pied de la croix, ils
furent d'autant plus frappés de tous ces signes, firent de vifs reproches à
Anne et à Caïphe et se retirèrent du Temple. Anne, le véritable chef des
ennemis acharnés de Jésus, qui depuis longtemps avait dirigé toutes les menées
secrètes contre lui et ses disciples, et qui avait fait leur leçon à ses
dénonciateurs. Anne était presque fou de terreur ; il s'enfuyait d'un coin à
l'autre dans les chambres les plus reculées du Temple. Je le vis criant,
gémissant et se tordant dans les convulsions : on l'avait transporté dans une
chambre secrète, et il était entouré de plusieurs de ses adhérents. Caïphe
l'avait serré dans ses bras pour tâcher de relever son courage : mais il n'y
avait pas réussi : l'apparition des morts l'avait jeté dans la consternation. Caïphe,
quoique frappé de terreur, était tellement possédé du démon de l'orgueil et de
l'obstination, qu'il ne laissait rien voir de ce qu'il éprouvait, et qu'il
opposait un front d'airain aux signes menaçants de la colère divine. Ne pouvant
plus, malgré ses efforts, faire continuer les cérémonies de la fête, il donna
l'ordre de cacher tous les prodiges et toutes les apparitions dont la multitude
n'avait pas eu connaissance. Il dit lui-même, et fit dire par d'autres prêtres,
que ces signes du courroux céleste avaient été occasionnés par les partisans du
Galiléen qui étaient venus dans le Temple en état de souillure ; que les
ennemis de cette loi sainte que Jésus aussi avait voulu renverser, avaient
seuls excité ces terreurs, et qu'il y avait là beaucoup de choses provenant des
sortilèges de cet homme, qui, dans sa mort comme pendant sa vie, avait troublé
le repos du Temple. Il réussit à tranquilliser les uns et à intimider les
autres par des menaces ; cependant, plusieurs furent profondément ébranlés et
cachèrent leurs véritables sentiments. La fête fut ajournée jusqu'après la
purification du Temple. Beaucoup d'agneaux ne furent pas immolés et le peuple
se dispersa peu à peu.
Le
tombeau de Zacharie qui était sous le mur du Temple s'écroula sur lui-même, et
plusieurs pierres se détachèrent du mur. Zacharie sortit du tombeau, mais il
n'y rentra pas ; j'ignore où il déposa de nouveau sa dépouille mortelle. Les
fils de Simon le Juste déposèrent de nouveau leur corps dans le caveau qui est
au pied de la montagne du Temple, lorsqu'on fit les préparatifs de la sépulture
de Jésus.
Pendant
que tout ceci se passait dans le Temple, la même épouvante régnait en plusieurs
lieux de Jérusalem. Un peu après trois heures, beaucoup de tombes
s'écroulèrent, surtout dans les jardins situés au nord-ouest ; j'y vis des
morts ensevelis, dans quelques-unes il n'y avait que des lambeaux d'étoffe et
des ossements ; il y en avait d'autres d'où sortait une odeur infecte. Les
marches du tribunal de Caiphe, où Jésus avait été outragé s'écroulèrent, ainsi
qu'une partie du foyer où Pierre avait renié son maître. On y vit apparatre le
grand-prêtre Simon le Juste, aïeul de Siméon, qui avait prophétisé lors de la
présentation de Jésus au Temple. Il fit entendre des paroles terribles sur le
jugement inique qui avait été rendu en ce lieu. Plusieurs membres du Sanhédrin
s'y étaient rassemblés. Les gens qui, la veille, avaient fait entrer Pierre et
Jean, se convertirent et s'enfuirent vers les disciples. Près du palais de
Pilate, la pierre se fendit et le sol s'affaissa au lieu où Jésus avait été
montré au peuple ; tout l'édifice fut ébranlé, et la cour du tribunal voisin
s'affaissa au lieu où les innocents, égorgés par Hérode, avaient été enterrés.
Dans plusieurs autres endroits de la ville, des murs se fendirent ou
s'écroulèrent ; toutefois, aucun édifice ne fut entièrement détruit. Le
superstitieux Pilate était frappé de terreur, et incapable de ne donner aucun
ordre. Son palais s'ébranlait, le sol tremblait autour de lui, et il fuyait
d'une chambre dans l'autre. Les morts se montraient dans la cour intérieure, et
lui reprochaient son jugement inique. Il crut que c'étaient les dieux du
prophète Jésus, et se réfugia dans le coin le plus retiré de sa maison, où il
offrit de l'encens et fit des veux à ses idoles pour qu'elles empêchassent les
dieux du Galiléen de lui nuire. Hérode était dans son palais, tout tremblant,
et il y avait fait tout fermer.
Il y eut bien une centaine de morts de toutes
les époques qui parurent avec leurs corps à Jérusalem et dans les environs. Ils
s'élevaient hors des tombeaux écroulés, se dirigeaient, le plus souvent deux
par deux, vers certains endroits de la ville, se présentaient au peuple qui
fuyait dans toutes les directions et rendaient témoignage de Jésus en
prononçant quelques paroles sévères. La plupart des tombeaux étaient situés
isolément dans les vallées en dehors de la ville, mais il y en avait aussi
beaucoup dans les quartiers nouvellement adjoints à Jérusalem, surtout dans le
quartier des jardins vers le nord-ouest, entre la porte de l'angle et celle du crucifiement
: il y avait aussi autour du Temple et au-dessous plusieurs tombeaux cachés ou
ignorés. Tous les cadavres qui furent mis au jour lorsque les tombeaux
s'ouvrirent, ne ressuscitèrent pas ; il y en eut qui ne devinrent visibles que
parce que les sépultures étaient communes. Mais beaucoup dont l'âme fut envoyée
des limbes par Jésus se levèrent, découvrirent leurs visages et errèrent dans
les rues comme s'ils n'eussent pas touché la terre. Ils entrèrent dans les
maisons de leurs descendants et rendirent témoignage pour Jésus avec des
paroles sévères contre ceux qui avaient pris part à la mort du Sauveur. Je les
voyais aller par les rues, le plus souvent deux à deux : je ne voyais pas le
mouvement de leurs pieds sous leurs longs linceuls ; il semblaient qu'ils
planassent à fleur de terre. Leurs mains étaient enveloppées de larges bandes
de toile, ou cachées sous d'amples manches pendantes attachées autour des bras.
Les linges qui couvraient je visage étaient relevés sur Leurs têtes. Leurs
faces pâles, jaunes et desséchées, se détachaient sur leurs longues barbes ;
leur voix avait un son étrange et insolite. Cette voix qu'ils firent entendre
et leur passage rapide d'un lieu à l'autre sans s'arrêter et sans prendre garde
à ce qui se trouvait sur leur chemin, fut leur unique manifestation ; ils
semblaient n'être rien que des voix. Ils étaient ensevelis suivant l'usage qui
régnait au moment de leur mort avec quelques différences selon leur condition
et leur âge. Aux endroits où la sentence de mort de Jésus avait été proclamée
avant qu'on se mit en marche pour le Calvaire, ils s'arrêtèrent un moment et
crièrent : Gloire à Jésus et malheur à ses meurtriers ! Le peuple se tenait à une grande distance,
écoutait, tremblait et s'enfuyait lorsqu'ils s'avançaient. Sur le forum, devant
le palais de Pilate, je les entendis proférer des paroles menaçantes : je me
souviens de ces mots : Juge sanguinaire. La terreur était grande dans la ville,
et chacun se cachait dans les coins les plus obscurs de sa maison. Les morts rentrèrent
dans leurs tombeaux vers quatre heures. Après la résurrection de Jésus, il y
eut encore, en divers endroits, plusieurs apparitions. Le sacrifice fut
interrompu, la confusion se mit partout et peu de personnes mangèrent le soir
l'agneau pascal.
Je vis aussi, à la même heure, dans
d'autres parties de la terre sainte et dans des pays éloignés, des
bouleversements et des signes de toute espèce dont je parlerai plus tard.