XVI. PALAIS DE PILATE ET SES
ALENTOURS
Au pied de l'angle nord-ouest de la montagne du Temple (1) est situé le
palais du gouverneur romain Pilate. Il est assez élevé, car on y arrive par
plusieurs degrés de marbre, et il domine une place spacieuse entourée de
galeries où se tiennent des marchands : un corps de garde et quatre entrées, au
couchant au nord, au levant et au midi où se trouve le palais de Pilate,
interrompent cette enceinte du marché qui s'appelle le forum et qui, vers le
couchant s'étend encore au delà de l'angle nord-ouest de la montagne du Temple.
(1) Vraisemblablement près de la
forteresse Antonia, dont la soeur a souvent dit qu'elle était située en ce
lieu.
De ce point du forum on peut voir la montagne de Sion. Il est plus élevé
que les rues qui y aboutissent ; dans certains endroits les maisons des rues
voisines s'appuient au coté extérieur de son enceinte. Le palais de Pilate n'y
est pas attenant, mais il en est séparé par une cour spacieuse. Cette cour a
pour porte, vers l'orient, une grande arcade donnant sur une rue qui mène à la
porte des Brebis et ensuite au mont des Oliviers, au couchant est une autre
arcade par où l'on va à Sion, à travers le quartier d'Acra. De l'escalier de
Pilate, on a vue, au nord, par-dessus la cour, jusque sur le forum, à l'entrée
duquel sont des colonnes et quelques sièges de pierre tournés vers le palais.
Les prêtres juifs n'allèrent pas plus loin que ces sièges, afin de ne pas se
souiller en entrant dans le tribunal de Pilate. La limite qu'ils ne devaient
pas franchir était marquée par une ligne tracée sur le pavé de la cour. Prés de
la porte occidentale de la cour était bâti dans l'enceinte du marché, un grand
corps de garde, se joignant au nord avec le forum et le prétoire. On appelait
prétoire la partie du palais où Pilate rendait ses jugements. Ce corps de garde
était entouré de colonnes : au centre se trouvait un espace à ciel ouvert, et
au-dessous régnaient des prisons où les deux larrons étaient enfermés. Il y
avait là beaucoup de soldats romains. Non loin de ce corps de garde, près des
galeries qui l'entouraient. s'élevait sur le forum même la colonne où Jésus fut
flagellé ; il y en a plusieurs autres dans l'enceinte de la place, les plus
proches servent à infliger les punitions corporelles, les plus éloignées à
attacher des bestiaux mis en vente. Vis-à-vis le corps de garde s'élève,
au-dessus du forum, une terrasse où se trouvent des bancs de pierre ; c'est
comme un tribunal. De ce lieu, appelé Gabbatha, Pilate prononce ses jugements
solennels. L'escalier de marbre qui monte au palais conduit à une terrasse
découverte, d'où Pilate parle aux accusateurs assis sur les bancs de pierre à
l'entrée du forum. Ils peuvent s'entretenir en parlant haut et distinctement.
Derrière le palais de Pilate sont
d'autres terrasses plus élevées, avec des jardins et une maison de plaisance.
Ces jardins unissent le palais du gouverneur avec la demeure de sa femme, qui
s'appelle Claudia Procle. Derrière ces bâtiments est encore un fossé (1) qui
les sépare de la montagne du Temple. Il y a aussi de ce côté des maisons
habitées par des serviteurs du Temple. Attenant la partie orientale du palais
de Pilate, se trouve ce tribunal du vieil Hérode, où les saints Innocents
furent égorgés dans une cour intérieure. Il y a eu quelque chose de changé dans
les distributions, l'entrée est placée aujourd'hui vers l'orient : il y en a
cependant aussi une pour Pilate au palais duquel elle touche. De ce coté de la
ville courent quatre rues dans la direction de l'ouest ; trois conduisent au
palais de Pilate et au forum, la quatrième passe au nord du forum et mène à la
porte par laquelle on va à Bethsur. Près de cette porte et dans cette rue est
la belle maison que possède Lazare à Jérusalem, et où Marthe a aussi une
demeure à elle. Celle de ces quatre rues qui est la plus voisine du Temple
vient de la porte des Brebis, près de laquelle se trouve, à droite en entrant,
la piscine des Brebis. Cette piscine est adossée à la muraille dans laquelle
sont pratiqués des arcades formant une voûte au-dessus de ses eaux. Celles-ci
ont en avant du mur un écoulement dans la vallée de Josaphat, ce qui fait qu'il
y a, en cet endroit, une espèce de bourbier devant la porte. La piscine est
entourée de quelques bâtiments. C'est là qu'on lave d'abord les agneaux avant
de les conduire au Temple ; ils sont lavés une seconde fois solennellement dans
la piscine de Bethsaïda, au midi du Temple. Dans la seconde rue est une maison
qui a appartenu à sainte Anne mère de Marie, où sa famille et elle se tenaient
et préparaient leurs victimes lorsqu'ils venaient à Jérusalem pour les fêtes.
C'est aussi dans cette maison, si je ne me trompe, que fut célébré le mariage
de Joseph et de Marie.
(1) C'était peut être un fossé de la
forteresse Antonia.
Le forum, comme je l'ai dit, est plus élevé que les rues adjacentes, et
il y a dans celles-ci des conduits d'eau qui aboutissent à la piscine des
Brebis. Il y a un forum semblable sur la montagne de Sion, devant l'ancien
château de David. Le Cénacle est au sud-est, dans le voisinage, et au nord se
trouvent le tribunal d'Anne et celui de Caïphe. Le château de David est une
forteresse abandonnée, avec des cours, des salles et des écuries vides qu'on
loue à des caravanes et à des étrangers pour eux et leurs bêtes de somme. Cet édifice
est depuis longtemps désert, je le vis déjà dans cet état à l'époque de la
naissance de Jésus-Christ. Le cortège des trois rois avec ses nombreuses bêtes
de somme y fut conduit alors, dès leur entrée dans la ville.
Lorsque je vois dans les temps anciens des palais et des temples
descendre ainsi aux usages les plus vils, je pense toujours à ce qui arrive
aussi de notre temps, où tant de beaux ouvrages de la foi d de la piété d'une
autre époque, tant d'églises et de couvents magnifiques sont détruits et
ravagés, ou employés à des usages mondains, si ce n'est criminels. La petite
église de mon couvent, qui était pour moi le ciel sur la terre, et où le roi du
ciel et de la terre aimait tant à habiter parmi nous, pauvres pécheresses, dans
le Très Saint Sacrement, est maintenant sans toiture et sans fenêtres ; on a
enlevé toutes les pierres tombales qui s'y trouvaient. Notre pauvre cloître, où
j'étais plus heureuse dans ma cellule, avec ma chaise brisée, qu'un roi ne peut
l'être sur son trône, car je pouvais voir la partie de l'église où se trouvait
le Saint Sacrement, où sera-t-il dans quelque temps ? Bientôt on saura à peine
en quel lieu tant d'âmes consacrées à Dieu ont prié pendant une longue suite
d'années pour le monde entier et pour toutes les pauvres âmes délaissées. Mais
Dieu le saura, car il n'y a point d'oubli chez lui ; le passé et l'avenir lui
sont présents ; et de même qu'il me fait voir, présents près de lui, tous les
anciens événements, de même tout le bien fait en des lieux oubliés, tout le mal
fait en des lieux souillés et profanés, se conservent près de lui pour le jour
où il faudra lui rendre compte, et où tout sera rigoureusement payé. Il n'y a
point devant Dieu d'acception de lieux et de personnes ; il tient compte même
de la vigne de Naboth. J'ai souvent entendu dire que notre couvent a été fondé
par deux pauvres religieuses, avec une cruche d'huile et un sac de fèves. Tous
les intérêts bien gagnés de ce capital, comme de tous les capitaux, seront
comptés au jour du jugement. On dit souvent qu'une pauvre âme reste en peine à
cause de deux pièces de monnaie injustement acquises et non restituées ; que
Dieu remette leur dette à tous ceux qui se sont jamais emparés du bien des
pauvres et de l'Eglise et leur donne le repos éternel .